Nom de code : Forza Flandria. Mais qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, celle que procure le combat inlassable pour l’autonomie de la Flandre. Depuis un siècle, les manœuvres se succèdent, parfois au grand jour, souvent secrètes. Avec le même objectif : constituer un large regroupement politique en vue d’accélérer la marche de la Flandre vers son destin. Des tentatives aux résultats mitigés. Mais certains y songent de nouveau, alors que l’hypothèse d’une alliance entre N-VA et Vlaams Belang est discutée pour 2024. En vue : le dernier épisode d’un chassé-croisé vertigineux dont le point de départ et d’aboutissement est presque toujours Anvers.
C’est un spectre qui revient sans cesse hanter. Un siècle que cela dure. Beaucoup l’attendent, autant le craignent. D’autres s’en moquent. L’a-t-on déjà vu ? Oui, de ci de là, sous des formes évasives, fluctuantes. Toujours insaisissables. Dix fois au moins, ses sectateurs ont cru en déceler la forme aboutie, concrète, apte à modifier à jamais le panorama des forces et des idées en Flandre. Impressions à chaque fois trompeuses. Mais alors que se profile le grand combat de 2024, avec des factions nationalistes postées sur deux rives, séparées seulement par un cordon, l’idée s’invite de nouveau dans les esprits.
Ses sonorités sont un leurre. Forza Flandria : on dirait le sud. Pourquoi pas un stade napolitain aux fumigènes écarlates ? Ou quelque palais florentin ? Erreur. Ses origines sont à chercher entre l’Yser et l’Escaut. Italien de cuisine, auront d’ailleurs remarqué les philologues : la traduction correcte serait Fiandre. Flandria ressortirait plutôt du latin tardif.
Première occurrence de l’expression ? Avril 1994, dans la confidentielle revue Nucleus. L’éditorialiste Paul Belien commente la victoire électorale, en Italie, du businessman Silvio Berlusconi et de son parti Forza Italia. Il remarque que si Berlusconi est en mesure de prendre le pouvoir, c’est du fait de son alliance avec Umberto Bossi et Gianfranco Fini. Le premier dirige les indépendantistes lombards et vénitiens coalisés au sein de la Lega Nord, le second est à la tête des ex-fascistes repeints en néolibéraux d’Alleanza nazionale. « Le ticket gagnant des élections italiennes s’appelle Berlusconi, Fini et Bossi. Conservateur, libéral et nationaliste », synthétise Paul Belien. Hélas, regrette-t-il, pareil ticket n’existe pas en Flandre. « L’exemple de Berlusconi prouve que seule une large coalition conservatrice-libérale peut créer le glissement de terrain électoral qui brisera une fois pour toutes la social-démocratie. En Flandre aussi, il n’y a qu’une seule coalition susceptible d’en finir avec l’ancien régime : une alliance du VLD, du Vlaams Blok et du monde catholique conservateur. »
L’article de Nucleus n’a guère de suite. L’idée percole néanmoins. Avant de ressurgir en 2007, défendue notamment par Bruno Valkeniers. Fidèle au pedigree familial (son oncle Jef Valkeniers a été député Volksunie), cet homme d’affaires a milité dans ses jeunes années au KVHV, le cercle des étudiants flamingants et catholiques. Un temps affilié au Vlaams Blok, il s’est éloigné de la politique pour se concentrer sur ses fonctions managériales dans des sociétés actives au port d’Anvers. Il se verrait bien en Berlusconi à la flamande. En 2008, il est élu président du Vlaams Belang, le nouveau nom du Vlaams Blok condamné pour racisme en 2000. Valkeniers veut désencercler son parti, lui ouvrir les portes du pouvoir. Il réactive l’ancien fantasme : un regroupement de toutes les forces antibelges et anti-gauche.
Ses manœuvres resteront à l’état gazeux. Forza Flandria n’est qu’un fantôme. « Mettez deux partis flamands ensemble, vous avez trois disputes, quatre exclusions, cinq dissidences. Le narcissisme des petites différences, c’est un peu la problématique de Forza Flandria », se désole aujourd’hui le député nationaliste Jean-Marie Dedecker, qui fut partie prenante de ces tractations.