2007 : Chacun dans son château fort
Évènement inédit : aux élections régionales de 2004, le Vlaams Belang devient le premier parti au parlement flamand, avec 32 sièges, surpassant le CD&V (29) et le VLD (25). La N-VA, par la grâce du cartel conclu avec les chrétiens-démocrates, a obtenu six députés.
L’extrême droite est à son zénith, mais un glissement s’annonce. Les nouvelles stars de la cause flamande s’appellent Jean-Marie Dedecker et Bart De Wever. Le premier, avec une Lijst Dedecker (LDD) à sa gloire, dirige à la fin des années 2000 une petite armée : cinq députés fédéraux, huit députés flamands. L’ascension de Bart De Wever est concomitante. La N-VA atteint bientôt des sommets jamais vus : 28 % des voix flamandes en 2010, 32 % en 2014. Le CD&V, ancien partenaire de cartel, mord la poussière. En parallèle, le Vlaams Belang ne cesse de décliner.
La trajectoire de Jean-Marie Dedecker est à elle seule un condensé des oscillations flamandes. Celui-ci a grandi dans un vlaamse nest, comme on dit dans les milieux nationa-listes. Un nid flamand. Son frère a été échevin Volksunie à Middelkerke. Au moment d’entrer en politique, en 1999, l’ancien judoka choisit le VLD, séduit par le Burgermanifest de Verhofstadt. Sept ans plus tard, en rupture de ban chez les libéraux, il négocie son transfert à la N-VA, mais l’aile gauche du CD&V, alors en cartel avec les nationalistes, bloque son arrivée. Dedecker n’a plus d’autre issue que le cavalier seul.
Pour la première fois depuis le « dimanche noir » de 1991, le Vlaams Belang est sur la défen-sive. Son président, Bruno Valkeniers, abat la carte de Forza Flandria. Le scénario : associer la N-VA, la LDD et le Vlaams Belang, sous une forme à déterminer. L’argument marketing est rodé, mais ni De Wever ni Dedecker n’y prêtent attention. Convaincus de se trouver dans une phase ascendante, ils n’ont aucun intérêt à tendre la main à un Vlaams Belang qu’ils croient moribond. « En quelque sorte, je dois relativiser l’importance de Forza Flandria, indique Gerolf Annemans. Quand on en parlait, c’était plutôt un spielerei, comme on dit en allemand. Un arti-fice, un gadget. On savait que ça n’avait aucune chance de se réaliser. Chaque parti était dans son château fort, incapable d’en sortir. Mais comme spielerei, c’était très productif. »
De fait, l’expression Forza Flandria est reprise en chœur par les médias flamands. L’hypothèse agite les cénacles nationalistes. Boudewijn Bouckaert, à la barre du think tank libéral Nova Civitas, semble avoir fait de sa réalisation le projet d’une vie. C’est déjà lui qui avait initié la rencontre entre Guy Verhofstadt et Paul Belien en 1991. Élu député LDD en 2009, il multiplie les démarches pour agréger ce qu’il appelle les trois partis-V (pour Vlaanderen), en opposition aux partis-B (partisans de la Belgique).
De l’eau a depuis coulé sous les ponts de l’Escaut. Après une traversée du désert, Jean-Marie Dedecker est redevenu député fédéral en 2019, élu sur une liste N-VA. Un grand drapeau flamand, avec un lion aux griffes noires, s’étend sur les murs de son bureau à la Chambre. Le teint hâlé par le soleil des Canaries, il jette un regard dépité sur Forza Flandria, la baudruche dégonflée : « J’ai moi-même participé à des rencontres, des clubs mais ça restait toujours trop théorique, trop intellectuel… Le cordon sanitaire a aussi contribué à tuer cette idée. Je suis à 100 % contre le cordon. Ça exclut la suprématie flamande. »