Forza Flandria , le fantôme aux 100 visages

N°22 / Printemps 2023
Journaliste François Brabant

1966 : Naissance du nationalisme économique

C’est une césure dont on ne mesurera l’importance que bien plus tard. En 1966, le PIB par habitant de la Flandre dépasse pour la première fois celui de la Wallonie. Au nord du pays, une idée germe dans les milieux entrepreneuriaux : la Flandre doit fixer ses propres priorités, sans se laisser ralentir par les francophones. Vaast Leysen est l’homme clé de ce monde-là. Il a étudié au Sint-Lievenscollege, une école anversoise connue pour la tonalité nationaliste de son enseignement. Elle a été créée par Lieven Gevaert, patron d’un laboratoire photo qui deviendra la société Agfa-Gevaert et premier président du Vlaams Economisch Verbond (VEV), principale organisation patronale flamande. Vaast Leysen, lui aussi, sera président du VEV, matrice de l’actuel Voka. Et il est derrière le Financieel-Economische Tijd (actuel De Tijd), le journal fondé en 1968 à l’initiative du VEV.

C’est une décennie où la Flandre, forte de sa nouvelle prospérité, s’autonomise sur tous les plans : économique, médiatique, politique. En 1968, le CVP-PSC se scinde en deux partis distincts. Chacun sa route. Trois ans plus tôt, un jeune avocat d’affaires que l’on désignera bien-tôt comme le « Kennedy flamand » a été élu pour la première fois député : Hugo Schiltz. Il porte les couleurs de la Volksunie, le parti nationa-liste flamand créé en 1955, qui couvre un large spectre, du centre gauche à l’extrême droite.

Directeur de la banque anversoise Van Breda, emblème de la Flandre qui gagne, Vaast Leysen se tient à l’écart de la politique partisane. De sensibilité flamingante, il organise dans les années 1970 plusieurs rencontres secrètes qui ont pour but de rapprocher le CVP et la Volksunie. Il entretient des contacts suivis avec les chrétiens-démocrates Léo Tindemans et Wilfried Martens. Mais ses manœuvres n’aboutiront pas.

« Ce que Leysen a sous-estimé, c’est la rancœur qui existe entre les catholiques flamingants, comme Wilfried Martens, et les nationalistes purs et durs », analyse Rik Van Cauwelaert, ancien rédacteur en chef du magazine Knack. Cette hostilité séculaire, mille fois recuite, continue-rait d’ailleurs de produire ses effets. « On le voit aujourd’hui encore quand Bart De Wever parle du CD&V. L’animosité est palpable. Il a encore dit récemment que c’est un parti qui devait disparaître. C’est une vieille querelle qui date de la Première Guerre mondiale. Le fait que certains flamingants ont collaboré avec l’occupant allemand, ça a envenimé les relations dans le Mouvement flamand. En retour, les nationalistes ont commencé à dire que les catholiques comme Frans Van Cauwelaert2 étaient desminimalistes”, adeptes des petits pas. » Divergences de méthode et de style. Accointances sur l’objectif : construire l’autonomie flamande la plus large possible. Frans Van Cauwelaert lui-même ne lança-t-il pas une formule qui a fait florès ? Met België als het kan, zonder België als het moet. Avec la Belgique si possible, sans la Belgique s’il le faut.

Le plan de Verhofstadt, c’était d’amalgamer au PVV les franges droites du CVP, de la Volksunie et éventuellement certains élus Vlaams Blok jugés compatibles.

Notes de bas de page

1. À la suite de sa défaite électorale en 1936, l’Union catholique belge se scinde en deux sections, qui fonctionnent chacune comme un parti indépendant : le KVV en Flandre et le Parti catholique social en Wallonie. Après 1945, ces partis laisseront place à une organisation de nouveau unitaire, le Christelijke Volkspartij-Parti social-chrétien (CVP-PSC).

2. Frans Van Cauwelaert : bourgmestre d’Anvers de 1921 à 1932. Au sein du CVP, il incarne une aile flamingante mais opposée à tout rapprochement avec l’extrême droite. Il est le grand-oncle de Rik Van Cauwelaert.

3. Cet épisode sera relaté en détail en 2019 par un article de Knack, qui a eu accès à la correspondance et aux archives personnelles de Paul Belien, exhumées par Carl Devos, professeur de sciences politiques à l’université de Gand, dans le cadre de ses recherches.

4. Volksaard : l’identité, le caractère du peuple.

5. Guy Spitaels : président du Parti socialiste de 1981 à 1992, ministre-président wallon de 1992 à 1994.

 

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