1966 : Naissance du nationalisme économique
C’est une césure dont on ne mesurera l’importance que bien plus tard. En 1966, le PIB par habitant de la Flandre dépasse pour la première fois celui de la Wallonie. Au nord du pays, une idée germe dans les milieux entrepreneuriaux : la Flandre doit fixer ses propres priorités, sans se laisser ralentir par les francophones. Vaast Leysen est l’homme clé de ce monde-là. Il a étudié au Sint-Lievenscollege, une école anversoise connue pour la tonalité nationaliste de son enseignement. Elle a été créée par Lieven Gevaert, patron d’un laboratoire photo qui deviendra la société Agfa-Gevaert et premier président du Vlaams Economisch Verbond (VEV), principale organisation patronale flamande. Vaast Leysen, lui aussi, sera président du VEV, matrice de l’actuel Voka. Et il est derrière le Financieel-Economische Tijd (actuel De Tijd), le journal fondé en 1968 à l’initiative du VEV.
C’est une décennie où la Flandre, forte de sa nouvelle prospérité, s’autonomise sur tous les plans : économique, médiatique, politique. En 1968, le CVP-PSC se scinde en deux partis distincts. Chacun sa route. Trois ans plus tôt, un jeune avocat d’affaires que l’on désignera bien-tôt comme le « Kennedy flamand » a été élu pour la première fois député : Hugo Schiltz. Il porte les couleurs de la Volksunie, le parti nationa-liste flamand créé en 1955, qui couvre un large spectre, du centre gauche à l’extrême droite.
Directeur de la banque anversoise Van Breda, emblème de la Flandre qui gagne, Vaast Leysen se tient à l’écart de la politique partisane. De sensibilité flamingante, il organise dans les années 1970 plusieurs rencontres secrètes qui ont pour but de rapprocher le CVP et la Volksunie. Il entretient des contacts suivis avec les chrétiens-démocrates Léo Tindemans et Wilfried Martens. Mais ses manœuvres n’aboutiront pas.
« Ce que Leysen a sous-estimé, c’est la rancœur qui existe entre les catholiques flamingants, comme Wilfried Martens, et les nationalistes purs et durs », analyse Rik Van Cauwelaert, ancien rédacteur en chef du magazine Knack. Cette hostilité séculaire, mille fois recuite, continue-rait d’ailleurs de produire ses effets. « On le voit aujourd’hui encore quand Bart De Wever parle du CD&V. L’animosité est palpable. Il a encore dit récemment que c’est un parti qui devait disparaître. C’est une vieille querelle qui date de la Première Guerre mondiale. Le fait que certains flamingants ont collaboré avec l’occupant allemand, ça a envenimé les relations dans le Mouvement flamand. En retour, les nationalistes ont commencé à dire que les catholiques comme Frans Van Cauwelaert2 étaient des “minimalistes”, adeptes des petits pas. » Divergences de méthode et de style. Accointances sur l’objectif : construire l’autonomie flamande la plus large possible. Frans Van Cauwelaert lui-même ne lança-t-il pas une formule qui a fait florès ? Met België als het kan, zonder België als het moet. Avec la Belgique si possible, sans la Belgique s’il le faut.