1991, la percée du Vlaams Blok dans les centres urbains
Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite dépasse les 10 % en Flandre. Une commotion pour le monde politique. Et le début d’une lutte à mort au sein du nationalisme flamand, entre la Volksunie et le Vlaams Blok.
C’était un dimanche d’automne froid et pluvieux. Mais c’est pour d’autres raisons que le 24 novembre 1991 restera dans les mémoires sous le nom de « dimanche noir ». Ce jour-là, l’extrême droite réalise sa première percée électorale depuis la Seconde Guerre mondiale : 10,3 % des voix en Flandre. Le Vlaams Blok triple son score par rapport au scrutin de 1987, où il avait obtenu 3 % des suffrages. Personne ne l’avait vu venir. « On dit que l’électeur a toujours raison. Eh bien, dans ce cas, l’électeur a tort », s’indigne Miet Smet (C V P), secrétaire d’État à l’Environnement.
La ville d’Anvers est l’épicentre de cette commotion : le Blok y atteint 25,5 %. L’implantation du parti apparaît également très forte dans toute la périphérie anversoise, à Lierre (15,6 %), Beveren (12,7 %), Brecht (12,1 %), Boom (15,7 %), Duffel (14,2 %), Kapellen (17,8 %), Kontich (15,9 %), ou encore Zandhoven (15,5 %). Il y a donc bien un phénomène spécifique-ment anversois.
Malines fait figure de deuxième place forte : 21 % des électeurs y ont voté pour le Blok. L’extrême droite en 1991 est d’abord une réalité urbaine. Elle performe aussi à Gand (13,1 %). Et s’enracine dans de nombreuses petites villes situées dans un triangle entre Gand, Anvers et Bruxelles : Alost (10,5 %), Lokeren (15,4 %), Tamise (15,6 %), Saint-Nicolas (15,5 %), Vilvorde (14 %).
Ces succès, toutefois, restent encore très localisés. Presque partout ailleurs, le Blok évolue nettement sous les 10 %. Il est endigué à Bruges (6,7 %), Courtrai (6,1 %), Louvain (7,8 %).
La génération politique alors au pouvoir est encore imprégnée des événements de la Seconde Guerre mondiale. Cela influe sur ses réactions, comme le relèvera plus tard Ivan De Vadder, journaliste à la VRT. « Je revis les années de mon enfance, avec Degrelle et Rex », déclare Hugo Schiltz, leader de la Volksunie. « Ce qu’on vit est digne de l’année 1936, car c’est une élection et un vote contre la démocratie », estime Louis Tobback, l’un des dirigeants du SP, le parti socialiste flamand.
Sur ses affiches, le Blok reprend la symbolique du coup de balai, employée en son temps par Degrelle. Journalistes et universitaires s’interrogent : faut-il établir une continuité entre les scrutins de 1936 et de 1991 ? En tout cas, les cartes électorales, à six décennies d’écart, ne se superposent pas. Dans le Westhoek, qui avait voté en masse pour le VNV, les résultats du Blok sont médiocres : 3,7 % à Dixmude ; 4,6 % à Furnes ; 3,6 % à Ypres.
Traumatique pour de nombreux Belges, le 24 novembre 1991 l’est aussi pour la Volksunie (VU), principale expression poli-tique du nationalisme flamand depuis les années 1960. Cette dernière est désormais surpassée par les frères ennemis du Vlaams Blok. Situation d’autant plus amère que le Blok est né d’une scission de la Volksunie. En 1978, le pacte d’Egmont, un accord institutionnel négocié par cinq partis, dont la Volksunie alors présidée par Hugo Schiltz, avait lézardé les milieux nationalistes. De nombreuses sections locales de la VU s’étai-ent rebellées contre ce compromis jugé trop favorable aux francophones. En rupture avec Schiltz, deux figures du parti, Karel Dillen et Lode Claes, s’étaient coalisées pour présen-ter aux élections de 1978 une liste dissidente intitulée Vlaams Blok. Les années d’après, le Blok s’était structuré en parti véritable, orientant l’essentiel de sa propagande vers la lutte anti-immigration.
Soucieux de tirer un trait sur les heures noires de la collaboration avec le nazisme, les responsables de la Volksunie avaient voulu jouer à plein le jeu de la démocratie et des institutions. Et voilà que le retour d’un nationalisme d’extrême droite ravivait les vieux démons !
De ce dimanche très noir, jamais la Volksunie ne se relèvera. Le parti disparaîtra dix ans plus tard. L’année 1991 appa-raît avec le recul comme le début d’une lutte à mort entre deux versants du nationalisme flamand : l’un démocratique, l’autre borderline.