C’est un personnage peu commun qui s’est retiré cet été de l’avant-scène politique. Présidente d’Ecolo pendant quatre ans, Zakia Khattabi a traversé son mandat comme une claustrophobe traverserait un tunnel étroit et épineux. Avec son usage féroce de Twitter et son idéalisme à tout crin, la « Baronne » a participé à la renaissance de son parti, qui lui a pourtant fait vivre une soirée cauchemardesque le 17 juillet dernier. Aujourd’hui, tout va mieux. Elle s’est régénérée. Ça tombe bien : la lutte entre « l’écologie et la barbarie » qu’elle prophétise ne fait que commencer.
Il a suffi d’une dépêche de l’agence de presse Belga pour que le mot « psychodrame » barre les pages de tous les journaux, défile sur tous les sites d’information. Une soirée électrique, des échanges « très musclés ». Une présidente « butée ». Une sortie de scène « cruelle et injuste » pour celle qui a ressuscité le parti en quatre ans. On a insisté sur la durée anormalement longue de l’assemblée générale, on a décrit le départ précipité, au milieu de la nuit, de la Baronne, patronne déchue, émue et éreintée, alors que la séance n’était pas close. Peu avant de disparaître de l’auditoire de l’ULB, elle a discrètement signifié à Jean-Marc Nollet, l’autre président, qu’elle allait se destituer pour quelques heures. Elle ne pouvait cautionner le vote qui allait suivre, mais elle ne pouvait plus l’en empêcher.
« Un peu comme le roi Baudouin, confie-t-elle à Wilfried un matin calme de septembre, qui ne voulait pas signer la dépénalisation de l’avortement et qui s’était destitué pendant deux jours. » Certains témoins racontent même que la présidente est partie en un éclair, en laissant ses affaires sur sa chaise, et que c’est Jean-Marc Nollet qui a dû les récupérer un peu plus tard, embarrassé ; mais rien n’est moins sûr, c’est sans doute une confusion de quelques esprits ramollis par la fatigue, un détail fabulé pour amplifier l’épilogue bollywoodien de cette nuit d’été.
C’était le 17 juillet dernier. Un « grain de poussière » peu représentatif de son mandat, qui a pourtant réussi à ternir la fin de la présidence de Zakia Khattabi.
Une assemblée irrationnelle
« C’est dommage que cet épisode ait pris tant de place », regrette Patrick Dupriez, président d’Ecolo à ses côtés entre 2015 et 2018. C’est vrai, c’est disproportionné. Mais le grain de poussière éclaire d’un faisceau singulier la personnalité de Zakia Khattabi, de même qu’il révèle une facette inhabituelle de la formation écologiste. Il reflétera pour toujours l’histoire d’une assemblée devenue irrationnelle aux yeux de sa dirigeante, un parti que soudain elle ne reconnaissait plus ; comme un compagnon devenu ennemi, animé par des forces obscures. Il fallait se retourner, s’en aller seule. Se fier au titre de l’essai d’Henri Laborit, Éloge de la fuite, dans lequel le neurobiologiste français décrit la difficulté intrinsèque, pour l’être humain, de s’arracher aux rapports de force et de pouvoir. De voler de ses propres ailes.
Cette paire de menottes presque innée, ombilicale, qui enchaîne l’homme aux mécanismes de domination sociale, n’existe pas ou plus chez Zakia Khattabi. L’autorité la révulse, les contraintes la crispent. Le pouvoir en tant que tel la repousse. Elle déteste qu’on lui dicte une conduite, des codes à respecter, qu’on l’enferme dans un comportement attendu, qu’on la cantonne à un rôle, un mandat. Elle souffre en définitive d’une espèce de claustrophobie politique.
« Quand j’entre dans une pièce, j’ai tout de suite besoin de savoir où se situe la sortie », illustre-t-elle souvent. Attachement farouche, épidermique, à une liberté sacrée. Les tests de personnalité réalisés au sein de son staff politique révèlent un tempérament très solitaire, voire asocial, qui ne cherche pas la lumière et développe des techniques de survie pour se protéger. Le formateur s’était étonné : « Un profil comme le vôtre à un niveau de pouvoir aussi élevé, c’est exceptionnel. »
Elle le sait, elle en est fière. André Flahaut avait dit un jour de l’ancien député fanfaron Laurent Louis qu’il était un « accident de la démocratie » ; elle pense parfois la même chose d’elle. Pour d’autres raisons. Son itinéraire. Son idéalisme qui peut confiner au dogmatisme. Sa peur de l’enfermement, des conventions liberticides. Sa façon si élégante de s’habiller, sa veste Barbour couleur olive que certains chez Ecolo ont envie de brûler, son éventail qu’elle déploie dès qu’il fait chaud, comme tout le monde à Tétouan, au nord du Maroc, la terre de ses parents.
Cinq enfants, une mère voilée, un père ouvrier
Un fœtus qui n’est pas seul dans le ventre de sa mère a‑t-il plus de chances de se déclarer claustrophobe à l’air libre ? C’est possible. Surtout lorsque cette expérience amniotique de la promiscuité se poursuit à la maison. L’enfance de Zakia Khattabi, au tournant des années 1980, n’est pas propice aux grands espaces. Cinq enfants, une mère voilée, un père ouvrier dans un quartier populaire de Saint-Josse-ten-Noode, au cœur de Bruxelles. Une cellule familiale qui se suffit à elle-même, sans appartenance à une quelconque communauté. Petite, Zakia se demande si elle ne porte pas en réalité deux prénoms siamois, ZakiaZineb, tant ses premières années sont marquées par ce binôme indissociable, cette gémellité oppressante.
Les grands espaces, elle va plutôt les trouver à la faveur des « retours au bled » qui ont lieu l’été. Rien de plus enivrant que ces couleurs qui dansent devant elle, ces odeurs qui se bousculent, ces nuits sur la plage à refaire le monde avec les cousins. À l’évocation de ces souvenirs, l’émotion la gagne comme une brusque montée des eaux. « C’est bête, je ne sais pas pourquoi ça me prend, tout à coup… Enfin si, en fait, je sais. Je ne suis pas du tout communautariste, mais si j’ai réussi à tenir quatre ans à la présidence, c’est grâce à cette part de mon identité. Elle m’a sauvée. »
En voiture vers la Chambre des représentants, où l’attend une nouvelle joute avec ses adversaires, elle écoute de la musique andalouse, un genre très populaire au Maroc ; oud, cithare, tambourin arabe et flûte en roseau l’accompagnent jusqu’à l’hémicycle, torrent sonore qui lui servira de bouclier. « Alors je me dis : ça, c’est une part de moi qu’ils n’auront jamais. C’est ma singularité, mon jardin secret. »
Un monde binaire
Le monde, chez Zakia Khattabi, est quelque peu binaire : les bons et les méchants, moi contre Bart et Theo, la lutte civilisationnelle entre société ouverte et société fermée.
Elle ne se sent pas le besoin de préciser l’identité du « ils ». Le monde, chez Zakia Khattabi, est quelque peu binaire : les bons et les méchants, moi contre Bart et Theo, les écologistes contre les climato-sceptiques, la lutte civilisationnelle entre société ouverte et société fermée ; encore cette histoire de claustrophobie. Un clivage ouvert/fermé qu’elle a porté avec ferveur durant sa présidence, parfois à outrance.
« En ramenant tout à cette polarisation caricaturale, elle a entretenu la radicalité de la société », analyse un ancien du parti. « La force de l’écologie politique, c’est la reconnaissance de la complexité, replace une militante d’Ecolo qui connaît bien la Baronne. Elle a retiré cette complexité, elle a refusé la nuance. Dans son esprit, les gens sont soit d’un côté, soit de l’autre. C’est pour ça qu’elle aime avoir sa petite cour autour d’elle, ses apartés avec ses privilégiés. Les autres, elle est capable de les foudroyer. » Le reproche d’une présidente « clanique » revient souvent chez ses contempteurs.
« Zakia a ses poulains qu’elle protège et ses ennemis qu’elle démolit, c’est vrai », soutient Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique et ancien collègue de l’écologiste au Centre pour l’égalité des chances, au début des années 2000. « C’est une faiblesse apparentée à une grande qualité : son authenticité, son entièreté. Elle possède une forte personnalité, elle est habitée par des convictions inébranlables, mais elle n’est pas rassembleuse. Un président de parti devrait pouvoir combiner tous ces attributs, ce qui n’est pas courant. »
D’où lui vient cette attitude effrontée, cette aversion pour l’autorité ? Zakia était pourtant une enfant sage. Pas de remous au Sacré-Cœur de Lindthout, un incubateur de la bonne bourgeoisie bruxelloise, où ses camarades la regardaient sans doute plus comme une fille de diplomate que comme une enfant d’ouvrier. Pas de fracas à l’ULB, d’où elle est ressortie avec un diplôme de sociologie.
Pas de rébellion dans les administrations qui l’ont engagée en début de carrière (ULB, Centre pour l’égalité des chances, Politique scientifique fédérale). « Je n’avais jusque-là jamais été dans des rapports de verticalité, je considérais mes supérieurs comme mes égaux. En politique, on entre alors dans des zones de privilèges et de petits pouvoirs ; ça m’a été insupportable. » Elle vouait dès son enfance — et voue toujours — une profonde considération envers les institutions.
« C’est sans doute en grandissant et en investissant ces institutions que j’ai réalisé à quel point elles ne rendaient pas à mes parents le respect qu’ils avaient pour elles. Ça me tue d’entendre mon père dire qu’il n’a pas réussi sa vie parce qu’il ne possède pas tel modèle de voiture. Comme si on existait dans les seules limites de ce que l’on consomme et produit… Voilà pourquoi je suis plus révoltée qu’avant. » Révoltée, pas révolutionnaire. « Tête brulée », dit- elle en riant. « Quand je regarde dans le rétroviseur, je me dis que j’ai été courageuse. »
2014, une première à l’assemblée
Dans le rétroviseur apparaît Zakia Khattabi au pupitre de la Chambre, en 2014. C’est la première intervention de sa carrière dans la prestigieuse assemblée. Repérée en 2008 par Christophe Derenne, le directeur d’Etopia (la fondation politique d’Ecolo), alors qu’elle suivait des formations à l’Académie verte du parti, Zakia Khattabi semble à la fois allergique et rompue aux codes politiques qu’elle découvre seulement. Ce monde lui réussit d’emblée : elle est élue députée au parlement bruxellois en 2009, puis sénatrice cooptée quelques mois plus tard, cheffe de groupe Ecolo au Sénat et enfin députée fédérale en 2014.
Au pupitre, elle s’adresse à tous les partis et s’en prend à la N‑VA : « Mais vous croyez quoi ? Après les immigrés, les homosexuels, les femmes, ceux qui émargent au CPAS et au chômage, qui va s’ajouter à la liste des ennemis de Bart De Wever ? Si vous n’êtes pas un chef d’entreprise flamand d’origine flamande, vous en prendrez forcément un jour pour votre grade. » Son discours n’a pas changé, cinq ans et une législature plus tard. « Quand on dit ça, la nouvelle mode c’est de nous répliquer que c’est du racisme antiblanc. Mais non ! C’est juste reconnaître que notre société repose sur des bases patriarcales. C’est un héritage dont on peut se détacher. »
Au lendemain des élections régionales et fédérales de mai 2014, Ecolo est gravement malade. Son thermomètre affiche moins de 10 % des voix en Belgique francophone. Avec 9 285 voix de préférence (soit le dixième score bruxellois, tous partis confondus), Zakia Khattabi, tête de liste à la Chambre, est l’une des rares figures écologistes à avoir échappé à cette débâcle électorale qui va laisser le parti à terre pour plusieurs mois. Le duo de présidents en place (toujours mixte, femme/ homme, Wallonie/Bruxelles), Emily Hoyos et Olivier Deleuze, est ouvertement réprouvé pour la campagne menée, trop mièvre, trop prudente.
L’appareil du parti est éclaté, les lignes directrices dissoutes. La crise n’est pas seulement électorale, elle est aussi sociologique : Ecolo s’est avéré incapable de capturer dans ses filets autre chose que des « bobos ». Le parti n’apparaît pas, aux yeux de la population, à l’avant-garde de la défense des chômeurs et des réfugiés, du droit des femmes et des minorités. Ses listes électorales ne comptent que trop peu d’employés, d’ouvriers, de fonctionnaires, de candidats issus de l’immigration. Très critiques envers le binôme Hoyos/Deleuze, Zakia Khattabi et Patrick Dupriez, le président sortant du parlement wallon, présentent leur candidature.
Ils sont élus à 60 % des voix, contre 38 % pour le duo rival, Chloé Deltour et Christos Doulkeridis, l’actuel bourgmestre d’Ixelles qui l’avait lancée dans le grand bain des élections régionales de 2009.
Du renouveau chez Ecolo
Cet accessit amorce un brusque changement d’époque pour Ecolo. Zakia Khattabi n’est pas du sérail. Elle n’est pas issue du mouvement étudiant ; elle n’a pas dirigé la Fédération des étudiants francophones (FEF) contrairement à Emily Hoyos ou Jean-Marc Nollet ; elle n’a pas de réseau, les gens la connaissent peu, même à l’intérieur du parti où elle ne reste jamais boire un verre après les conseils de fédération du vendredi. Très vite, avec Patrick Dupriez, elle boute Ecolo hors de l’échiquier gauche-droite. La formation ne sera plus la « nouvelle gauche », comme dans les années 1990 sous la houlette de Jacky Morael ; elle ne sera plus « le nouveau centre », voie qu’avait plutôt privilégiée Jean-Michel Javaux, à la barre d’Ecolo entre 2003 et 2012. Zakia Khattabi la place sur un nouvel axe dichotomique, ouvert/fermé, dans un contexte où l’Europe affronte une crise migratoire inédite, et réaffirme l’écologie comme un projet politique systémique, qui englobe tout.
« Au même titre qu’il y a le libéralisme et le socialisme, il y a l’écologie politique, sur un pied d’égalité », proclame-t-elle. Une dialectique qui entend réaffirmer la spécificité d’Ecolo, menacée par les partis traditionnels qui se mettent tous à « faire du vert », eux-mêmes secoués par les rapports du GIEC et bientôt les marches pour le climat. Pour illustrer ses différences avec la gauche, Zakia Khattabi invoque souvent cet exemple : « Quand je vois le PS qui se dit “écosocialiste” mais qui va inaugurer en grande pompe un nouveau Primark ou qui se félicite de l’arrivée d’Alibaba à Liège et ses milliers d’emplois précaires, je me dis que quelque chose ne tourne pas rond ».
Et lorsque ça tourne rond, c’est dans le mauvais sens : « Les vols aériens low cost ne font pas que détruire l’environnement, ils cachent aussi des travailleurs low-cost qui dès lors consomment low-cost ». Crise environnementale et injustices sociales vont de pair dans l’esprit de Zakia Khattabi depuis longtemps. « Son » écologie politique ne prône pas, contrairement au PS, le productivisme et le consumérisme ; pas plus qu’il n’entretient un lien de subordination entre élus et électeurs. « J’ai fait le choix d’Ecolo sur la question centrale de l’autonomie, de l’émancipation des individus. »
« En mode survie jusqu’à la fin du mandat »
Autre nouveauté : avec Zakia Khattabi, l’actualité bruxelloise d’Ecolo cristallise davantage l’attention médiatique que l’actualité wallonne. « Pour la première fois dans l’histoire du parti, Bruxelles a pris un poids prépondérant, y compris sur les enjeux de société », analyse Jean-Michel Javaux, aujourd’hui bourgmestre d’Amay. Le dénommé « style Zakia » produit ses effets. Un ton parfois corrosif, un usage talentueux des réseaux sociaux, une franchise sans concession, une propension impulsive à s’indigner tous les quatre matins, une émotivité jamais feinte. Son épouvantail s’appelle Theo Francken, alors secrétaire d’État N‑VA à l’Asile et à la Migration, qu’elle considère comme « le cheval de Troie de l’extrême droite ».
Sur Twitter, dont elle maîtrise le langage comme personne chez Ecolo, elle décroche par ses déclarations offensives un plateau télévisé par-ci, une interview radio par-là. Elle remet dans la lumière un parti décharné promis à la pénombre de l’opposition et tente d’apprivoiser des équipes décimées qui ne l’ont pas choisie. « En interne, le contexte global était hostile, rembobine-t-elle. Ce sont les militants qui nous ont élus, Patrick et moi, pas les cadres en place. Dès cet instant, je me suis mise en mode survie, et ce jusqu’à la fin de mon mandat. » En lutte constante. Quitte à pousser le curseur de la férocité un cran trop loin, à hérisser certains cadres au sein du parti. À se ramasser en pleine figure des contre-attaques de plus en plus violentes. Tant pis, c’est le prix de sa liberté. C’est la rançon de son anticonformisme. Cette fonction qui convient si bien à un esprit généraliste — champ d’actions varié — et si mal à un esprit indépendant — formatage obligé, elle l’a embrassée pour le plaisir d’être là où on ne l’attendait pas. Par fidélité au parti, aussi.
« Zakia retourne dans l’assemblée avec une énorme reconnaissance, même chez les Wallons. Elle suscite une forme d’affectivité durable liée à ses forces et ses fêlures. » – Jean-Michel Javaux
La cohabitation avec Patrick Dupriez se passe d’une manière idéale sur le plan humain, mais Zakia Khattabi prend presque tout l’espace malgré elle, quand sa moitié politique s’efface au fil des jours. Chez l’Ixelloise, l’émotivité alterne avec la ruse. Le rationnel avec l’irrationnel. L’immédiateté des réseaux sociaux avec la quête de profondeur, de lenteur académique. C’est cette intelligence intuitive qui en fait un personnage ambigu, donc fascinant.
Quelques faits singuliers émaillent ainsi son mandat. Un discours improvisé à Lyon au lendemain des attentats islamistes de Paris en novembre 2015, alors qu’à Bruxelles les médias la sollicitent pour qu’elle commente ces attentats — elle et pas l’autre président du parti, ce qui la dérange viscéralement. Pour la seule et unique fois, elle s’exprime, la gorge serrée, sur son pedigree musulman. « Je veux revendiquer cette identité pour vous dire que je peux vous regarder, chacun, les yeux dans les yeux, et vous dire que ce que mes parents m’ont transmis, ce n’est pas ça. » Personne, parmi les écologistes présents dans la salle, n’a oublié cette confession impromptue.
En juin 2017, alors que l’affaire Publifin empoisonne le monde politique belge, elle se met soudain à marcher sur les plate-bandes du ministère de la Santé : « Mettre le PS dans l’opposition est sans doute une mesure de salubrité publique ». C’est la phrase que tout le monde a retenue, qui a tourné dans toutes les rédactions, mais la suite de sa déclaration est passée à la trappe, sauf chez les socialistes. « … publique, c’est évident. Mais est-ce normal que ce soit un homme tout seul dans son coin qui prenne cette décision ? Nous sommes à un an et demi des élections, nos concitoyens aussi ont un mot à dire sur ce qui est en train de se jouer et, aujourd’hui, c’est de nouveau des pratiques d’ancien régime. M. Lutgen nous force à discuter dans un huis clos particratique digne du siècle dernier. »
De Dupriez à Nollet
Manœuvre verbale très habile : elle casse les jambes du président du CDH, qui représente tout ce qu’elle honnit — le mâle blanc établi et prétentieux, électoraliste et calculateur — et par ailleurs tout ce qui est étranger à une bobo urbaine et laïque comme elle — le monde agricole et l’héritage du pilier chrétien ; et, dans le même mouvement, elle condamne les socialistes sans pour autant les pousser dans la fosse aux lions. Augure des épousailles entre PS et Ecolo en Wallonie et à Bruxelles, un an plus tard.
En octobre 2018, Patrick Dupriez jette l’éponge pour des raisons personnelles. Zakia Khattabi désigne Jean-Marc Nollet pour lui succéder et assurer à côtés d’elle la campagne électorale qui s’annonce. Nollet ? Le choix en déconcerte plusieurs. L’ancien ministre wallon n’est pas le genre de Zakia. Encore un mâle blanc sûr de lui, produit de la « FEF- connexion », héritier de l’ancien appareil central d’Ecolo, parfaite bête politique qui sait depuis ses quinze ans que sa juste place est dans un gouvernement. « Mon alliance avec Jean-Marc, la réussite professionnelle de notre tandem, c’est peut-être ce dont je suis la plus fière aujourd’hui. Pourtant, entre 2009 et 2014, quand il était ministre et moi députée, nous n’étions pas les meilleurs amis. Tout ce qu’il représente, les espaces de pouvoir… moi, j’y suis allergique. Quand on lui reproche des choses, je réponds : vous savez, il fait de la politique, c’est moi qui n’en fais pas. »
Le mariage de raison fait merveille. Jean-Marc Nollet, le Carolo, corrige par sa force de travail et sa maîtrise zélée des thèmes environnementaux deux points de déséquilibre chez Ecolo : l’attention médiatique trop souvent dirigée sur Bruxelles, d’une part, et les lacunes de Zakia Khattabi en matière d’énergie et de climat, de l’autre. Si la présidente a fait le choix des écologistes dès qu’elle a été en âge de voter, c’est parce que le parti était le seul, à ses yeux, à même de porter haut la cause des femmes, des réfugiés, des sans-papiers ; tout ce qui se rapporte aux droits humains et à l’émancipation des individus. L’environnement vient en second lieu. « La politique de Zakia correspond en fait à l’écologie bruxelloise, qui est finalement peu environnementale et plus ancrée à gauche que l’écologie wallonne, note un ancien député Ecolo.
Je ne l’ai jamais entendue sur des sujets comme l’énergie et le climat, en dehors des grands poncifs. Je pense qu’avec Jean-Marc, ils ont reproduit les accords de Yalta : toi c’est la Wallonie, moi Bruxelles. Toi c’est l’environnement, moi la justice sociale. » En marge de ce pacte stratégique, Jean-Marc Nollet, « l’ancien méchant », a pour mission personnelle de se faire apprivoiser par la présidente en place. « Il a consenti un gros travail diplomatique pour être accepté par Bruxelles et la garde rapprochée de Zakia », relève Jean-Michel Javaux. Reste alors dans le cahier des charges de Jean-Marc Nollet un dernier objectif, la synthèse de tous les autres : rapprocher les intentions de vote en Wallonie du niveau bruxellois, lequel place Ecolo premier parti de la capitale.
Surtout, le ministre wallon, workaholic et bagarreur, vient réoxygéner une Zakia Khattabi à bout de souffle. La soif de liberté de cette solitaire dans l’âme est sans cesse contrariée. Elle semble prendre la fuite. On lui reproche de se défiler la veille d’un débat médiatique important. On se plaint de ne plus avoir de ses nouvelles pendant plusieurs jours. On la dit malheureuse. Ses traits s’étirent, son visage exprime par moments un état de détresse.
Plus l’épreuve de survie qu’elle s’est assignée approche de son terme, plus elle lui paraît insoutenable. « Durant cette période, pas un seul jour je me suis levée en me disant : chouette, je vais aller au boulot. » Dans les sondages d’opinion, elle ne parvient pas à intégrer le top dix des personnalités politiques bruxelloises les plus populaires ; trop intello peut-être, trop clivante, trop doctrinaire, pas assez présente sur les marchés aux poissons.
Sur Twitter, la cascade d’insultes racistes, sexistes ou islamophobes gonfle, de moins en moins souterraine. Le vase finit par déborder, la patronne d’Ecolo quitte le réseau social toutes affaires cessantes. « Je n’ai pas vocation à servir de paillasson pour tous les trolls et les fachos », explique au Vif/L’Express celle qui avait déjà fui Facebook. « Je ne connais pas d’autre président de parti qui se serait retiré d’un réseau aussi stratégique que Twitter de façon aussi unilatérale, constate un ancien mandataire influent. On a toléré chez Zakia des attitudes qu’on n’aurait pas acceptées chez les autres. Je crois que c’est dû à son côté attachant, sa sincérité. »
Emblème de la lutte féministe
Les meutes ne braconnent pas que sur les réseaux sociaux. Hors de Twitter, Zakia Khattabi continue d’essuyer des propos qui la blessent dans sa chair. « J’ai toujours été une féministe radicale, je ne suis pas naïve, mais franchement, ce que j’ai découvert à ce niveau de pouvoir dépassait de loin ce que j’avais imaginé de pire. Alors un jour, pendant la campagne, je suis entrée chez un tatoueur et en un quart d’heure c’était fait. »
Elle retrousse son chemisier et laisse entrevoir, sur la paume de son avant-bras, l’emblème de la lutte féministe — un poing levé à l’intérieur du cercle du symbole de Vénus. Comme un écho solidaire à ce mouvement en cours au Maroc et qu’elle suivait via les réseaux sociaux, #Masaktach, pour dénoncer la culture du viol et de l’impunité. Masaktach, « je ne me tairai pas », en arabe dialectal marocain.
Sur le front politique, les attaques de la N‑VA et du MR redoublent d’intensité. Un jour, c’est sur la base d’une intox colportée par les libéraux, qui accusent Ecolo de vouloir taxer la viande. Cette torpille controversée touche sa cible et semble engourdir la progression des verts dans les sondages, surtout en Wallonie. Un autre jour, c’est le parti lui-même qui tend le bâton à ses adversaires, lorsque Zoé Genot, cheffe de groupe Ecolo au parlement bruxellois, distribue un tract au marché de Laeken portant uniquement sur les libertés de culte à Bruxelles. Il précise par exemple que les verts sont favorables à l’abattage sans étourdissement des animaux dans le cadre de rites religieux. « Zakia était folle de rage, se souvient Patrick Dupriez. Elle qui n’a aucun réflexe communautaire, déteste par-dessus tout qu’on instrumentalise les communautés. »
« Ce tract a été très mal perçu en Wallonie, ajoute Jean-Michel Javaux. Zakia en a beaucoup souffert et s’est encore davantage repliée sur ses terres bruxelloises. »
Taxe sur la viande, abattage sans étourdissement… À ce rythme, la campagne va finir en boucherie. Zakia Khattabi décompte les jours. Il est temps que cette Belgique qui lui a donné la chance de devenir présidente de parti, cette Belgique à laquelle elle estime être plus attachée que Theo Francken et dont elle a pourtant l’impression douloureuse de passer pour l’ennemie numéro un, il est temps que cette Belgique aille voter.
Le 26 mai 2019, Ecolo devient le troisième parti de Wallonie (14,5 %, + 5,9 points) et le deuxième parti de Bruxelles (19,1 %, + 9 points). Pas premier. Ce qui barre de facto la route de la ministre-présidence bruxelloise à Zakia Khattabi, qui avait promis d’assumer le poste en cas de pole position, eu égard à son statut de tête de liste à la Chambre.
« Le soir des élections, j’ai dû être la seule chez Ecolo à pousser un ouf de soulagement quand j’ai vu que nous n’étions pas le premier parti à l’échelon régional, confie-t-elle. D’autant que nous étions en tête dans la circonscription de Bruxelles pour le scrutin fédéral — ma liste, donc c’était un joli scénario. J’étais fière. » La capitale de la Belgique attendra encore un moment pour voir à sa tête une première femme, une première écologiste, une première citoyenne issue de l’immigration. La symbolique n’a jamais échappé à Zakia Khattabi, mais elle ne désirait pas s’asseoir dans ce fauteuil. « J’y serais allée à contrecœur. Dans un vrai déchirement. Moi, je ne suis pas une gestionnaire, c’est aussi pour ça que je ne voulais pas non plus de portefeuille ministériel. J’ai une vision romantique de la politique. J’ai toujours rêvé d’être un haut commis de l’État. »
« Tout ce que Jean-Marc Nollet représente, les espaces de pouvoir… moi, j’y suis allergique. Quand on lui reproche des choses, je réponds : “Vous savez, il fait de la politique, c’est moi qui n’en fais pas”. » Zakia Khattabi
Renforcé par sa nette progression à Bruxelles, Ecolo entame les négociations régionales dans la position du dauphin gourmand. Zakia Khattabi, secondée par Alain Maron, palabre avec le PS, Défi, Groen, le SP.A et l’Open VLD. Dès ce moment, l’Ixelloise sidère tous ses interlocuteurs.
Sa dernière fierté
Elle que certains jugeaient incapable de nouer le moindre compromis à cause de ses convictions trop exclusives, laisse chez ses partenaires de négociation une excellente impression. « Elle peut avoir sa rigueur de point de vue, elle peut être ferme et décidée, mais ça ne se fait jamais au prix d’une forme de chantage, estime Olivier Maingain, président de Défi. C’est quelqu’un avec qui je travaille en confiance, dans une estime réciproque. » Le futur ministre de l’Environnement et du Climat Alain Maron a assisté de près aux prestations de Zakia Khattabi, pour qui il nourrit beaucoup d’affection. « J’ai vu dans le regard des autres négociateurs qui la découvraient — Sven Gatz, Guy Vanhengel, Rudi Vervoort — combien ils ont été surpris par son intelligence et ses capacités de négociation. Elle est capable de charmer, de désarmer ; elle a un talent politique inné. »
Zakia Khattabi s’est elle-même découvert des aptitudes insoupçonnées. « Les négociations à Bruxelles, ça a été pour moi une vraie révélation. C’était confidentiel, à l’écart du jeu politico médiatique, donc sans faux-semblants. Un jour, Guy Vanhengel m’a prise dans ses bras et il m’a dit : “Franchement, je n’aurais jamais cru que tu étais comme ça. T’es une vraie bête politique !” De la bouche d’un Flamand de droite… Il a ajouté : “J’ai découvert une personnalité qui a de l’humour”. Mon grand regret, c’est justement qu’on ne dise jamais que j’ai de l’humour. J’espère que ce sera mon épitaphe ! »
De l’avis de tous, l’accord gouvernemental bruxellois est le plus beau trophée de Zakia Khattabi. Il propose pour la capitale un plan d’action vigoureux, non pas couvert d’un vernis émeraude bon marché mais entièrement dicté par l’urgence climatique. Une vision « holistique », si chère à l’Ixelloise. Pour preuve, et c’est là sa victoire la plus personnelle, le portefeuille de la Transition économique qui échoit à Ecolo. Enfin, se réjouit-elle, on ne cantonne plus les compétences des verts à l’environnement stricto sensu. Hélas pour Zakia Khattabi, cette réussite sera occultée par la fameuse assemblée générale du 17 juillet.
La veille, les partenaires de négociation s’arrachent encore les cheveux sur la distribution des compétences. Les pourparlers se prolongent jusqu’à quatre heures du matin. « On faisait face à un blocage, on était tous épuisés, j’ai annoncé que j’allais me coucher et qu’on reprendrait après un peu de sommeil. J’étais persuadée qu’on n’aurait pas d’accord le lendemain, qu’on allait devoir annuler la conférence de presse et l’AG. » Trois ou quatre heures plus tard, les partenaires se retrouvent au saut du lit, la situation se décante et l’accord est signé in extremis.
C’est dans ce contexte de grande fatigue mentale et physique que Zakia Khattabi se présente aux côtés de Jean- Marc Nollet à l’AG d’Ecolo. L’objet de l’assemblée : valider l’accord de gouvernement et voter le casting ministériel sur la base des propositions de la présidence. L’accord est approuvé massivement. Mise en confiance par ce couronnement et soutenue dans son choix par Jean-Marc Nollet et Alain Maron, Zakia Khattabi propose, pour le poste de secrétaire d’État à la Transition économique, une certaine Isabelle Pauthier, issue de l’ARAU (l’Atelier de recherche et d’actions urbaines) et très méconnue des militants écologistes. D’abord soumise au groupe parlementaire, la proposition est refusée. On chuchote avec insistance le nom de Barbara Trachte, cheffe de groupe au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
« Je pense que certains, parmi les parlementaires, avaient d’autres intérêts, analyse après coup Zakia Khattabi. En propulsant Barbara, quelques-uns visaient à l’éloigner de la présidence, ce qui leur aurait laissé une chance de me succéder le jour où je démissionnerais. En écartant Isabelle, d’autres se donnaient la possibilité d’être le deuxième nom au poste de secrétaire d’État. Les biais étaient multiples et trop importants, j’ai donc renouvelé ma proposition lors du vote de l’AG .» Les militants refoulent Isabelle Pauthier comme l’ont fait les parlementaires avant eux. Personne ou presque ne comprend l’obstination de Zakia Khattabi, si ce n’est à la lumière de la relation personnelle, délétère, qu’elle aurait avec Barbara Trachte.
« C’est Zakia dans toute sa splendeur, très clanique, toujours dans la mêlée au lieu d’être au-dessus », résume une militante. L’accusée se défend d’avoir réglé ses comptes. Elle voulait mettre la bonne personne à la bonne place, c’est tout. « Pour moi, Isabelle n’avait peut-être pas les compétences en matière d’économie, mais c’est une bête politique. Au demeurant, je ne la connaissais pas, ce n’est pas comme si j’avais placé une copine. Quant à Barbara, je comptais plutôt la soutenir pour un poste à la Fédération Wallonie-Bruxelles. »
Face à l’hostilité ambiante, avec l’impression — insoutenable, pour elle — qu’on lui force la main et que son parti prend des airs florentins, la présidente se braque davantage. « Plus que dirigiste, elle s’est montrée têtue, relève Jean-Michel Javaux, à qui Zakia doit le surnom de « Baronne » en référence à son apparence chic. Elle a dû ressentir de l’ingratitude de la part du parti, alors qu’elle a largement contribué à sa renaissance. Elle a dû se dire que les militants ne comprenaient pas qu’elle faisait ça pour leur bien, qu’ils verraient plus tard qu’elle avait raison.
Elle est extrêmement méfiante et susceptible, ce qui l’amène à prendre pour un affront personnel chaque signal qui lui est défavorable. » Dans l’auditoire de l’ULB, plus la nuit avance, plus l’ambiance dégénère. « Des gens que je n’avais pas vus en quatre ans sont montés à la tribune, j’ai entendu des trucs hallucinants, décrit Zakia Khattabi. C’était très agressif, très dur. Je ne reconnaissais pas le parti que j’avais piloté. J’ai vu deux visions de la politique s’affronter : dans l’intérêt du parti ou dans la quête du pouvoir. À la tribune, personne ne mettait en avant les qualités de Barbara, j’entendais juste : “Ça fait dix ans qu’elle œuvre pour le parti, on lui doit bien ça”.
Ben non, ça ne marche pas comme ça. Et quand je lis par après Barbara déclarer qu’elle avait “une envie de ministère”, ça me dépasse. J’ai le sentiment que la logique du pouvoir pour le pouvoir l’emporte. On m’a dit que j’ai subi un désaveu personnel. Non, j’ai subi le désaveu d’une méthode, celle de la démocratie collective — que j’ai tant défendue avec Patrick Dupriez —, qui a été instrumentalisée à des fins individuelles. Cette AG, ça reste un échec très douloureux. »
« Ecolo ? Pareil aux autres »
Douloureux aussi pour Barbara Trachte, indirectement désapprouvée par sa présidente, et pour Isabelle Pauthier, qui a vécu un camouflet sans avoir rien demandé. Trois femmes ressorties écorchées de cette nuit hystérique. « Ce parti est rude, constate un ancien pilier d’Ecolo. Derrière son apparente sociabilité et sa gentillesse ordinaire, il est pareil aux autres. »
Deux mois plus tard, les organismes sont apaisés. Barbara Trachte a été élue ministre en fin de séance, en l’absence de la patronne « destituée ». Laquelle, deux jours plus tard, lessivée, encore abîmée par la dernière assemblée, a annoncé qu’elle quitterait la tête du parti, comme elle avait prévu de le faire depuis belle lurette. Ecolo a scellé, à la rentrée, un accord en Wallonie avec le PS et le MR. Zakia Khattabi a assumé loyalement son mandat de présidente jusqu’au 15 septembre.
Lors des Rencontres d’été à Liège, puis lors de l’assemblée qui a désigné la très jeune Rajae Maouane pour lui succéder auprès du marathonien, de l’encyclopédiste Jean-Marc Nollet, elle a été couverte d’une longue standing ovation. « Zakia retourne dans l’assemblée avec une énorme reconnaissance, même chez les Wallons, confirme Jean-Michel Javaux. Elle suscite une forme d’affectivité durable liée à ses forces et à ses fêlures. »
Toujours députée fédérale, Zakia Khattabi reprend sa place de militante parmi les militants, là où elle se sent le mieux. « J’ai fait le job », écrit-elle dans un message d’adieu sur Facebook (où elle est de retour). Survivante au franchissement de ce tunnel rocailleux dans lequel elle aura rampé quatre ans durant. Fin de l’épreuve de spéléologie, loisir qu’elle n’a jamais pratiqué « en vrai » et auquel elle ne compte surtout pas s’essayer.
« Le soir des élections, j’ai dû être la seule chez Ecolo à pousser un ouf de soulagement quand j’ai vu que nous n’étions pas le premier parti à Bruxelles. » – Zakia Khattabi
Au dehors, le combat ne fait que commencer. Les tenants d’une société dite fermée semblent resserrer leur étreinte. L’activiste climatique Anuna De Wever était la cible de bouteilles remplies d’urine au festival Pukkelpop, au cœur de l’été. Des masculinistes commencent à sortir du bois et lancent leur riposte au mouvement #MeToo. Le dernier sondage en date hisse le Vlaams Belang au rang de premier parti de Flandre. Masaktach.
Dans son discours de sortie, Zakia Khattabi a repris à Jean-Marc Nollet la formulation d’un choix binaire plus définitif encore, aux accents moyenâgeux, que l’axe ouvert/fermé : « L’enjeu de l’avenir, c’est l’écologie ou la barbarie ». Les verts cherchent par là à construire un récit à opposer à celui des extrémistes du Vlaams Belang ou des séparatistes de la N‑VA. Pas comme la gauche, qui a dépolitisé le débat public, regrette Zakia Khattabi, et qui en a fait un truc de gestionnaires, où le rêve est absent. « J’ai envie de construire un imaginaire ; que les gens, en fermant les yeux, n’associent pas Ecolo à des panneaux photovoltaïques, mais à un monde où l’on mange bien et l’on respire bien. J’ai une conscience aiguë de l’urgence, mais ce n’est pas la peur qui me motive, c’est la projection dans une société meilleure. »
Où est la place d’une idéaliste aussi radicale, qui aime autant qu’elle déteste la politique de haut niveau, un champ de bataille qu’elle s’apprête à quitter pour de bon ? Celle qui souhaite changer le monde mais exècre le pouvoir — le lieu par définition où il peut être changé — est-elle promise à une éternelle frustration ? Zakia Khattabi, 43 ans, a peut-être déjà trouvé chaussure à son pied atypique, une toge sous la veste Barbour : la Cour constitutionnelle.
Un poste de juge s’est libéré, elle a déposé sa candidature. En attendant d’être fixée sur son sort, sans doute songe-t-elle avec gaieté à ce mot, cour, qui doit charrier dans son esprit au moins trois images plaisantes. Ce qui est court n’est pas long, donc pas trop contraignant. Sa cour de fidèles, autour d’elle, qui la protège et qu’elle protège. Et surtout cette idée respirable d’un espace ouvert sur le ciel, d’où la fuite sera toujours possible. —