Rares ont été les personnalités publiques autant critiquées, voire haïes que Marc Goblet. Par sa parole, souvent jugée outrancière, l’ex-leader de la FGTB se sera mis à dos la quasi-totalité du monde politique et des éditorialistes, mais aussi un large public. Au point de recevoir des menaces de mort, assez précises pour être prises au sérieux. À 60 ans, cet inconditionnel de Jean Ferrat n’en démord pas. Malgré sa convalescence, il continue d’observer avec inquiétude la déliquescence (électorale et morale) de la droite au pouvoir et celle du socialisme à la liégeoise. Portrait d'un combattant.
Marc Goblet est mort ce 16 juin 2021, âgé de 64 ans, des suites d’une maladie contre laquelle il luttait depuis plusieurs années. Nous republions en intégralité le portrait que Wilfried lui consacrait en octobre 2017.
Son ami Michel Daerden, ravagé par le pouvoir, égaré dans les excès, retrouvait parfois un sursaut d’insouciance, le temps d’une chanson. Il aimait les mélodies simples comme bonjour, la langue française mise en refrain. Marc Goblet partageait ses goûts. C’est à travers cette affection commune, et une myriade de convictions partagées, qu’était née une complicité au fer rouge entre les deux hommes. Le ministre et le dirigeant syndical. Socialistes, évidemment. Liégeois l’un et l’autre, mais d’un pedigree mâtiné de ruralité – Michel Daerden a grandi à Loncin, à la lisière de la Hesbaye des champs de betteraves, Marc Goblet est implanté à Herve, dans un paysage de vergers et de bocage.
Le premier vénérait Dalida et Serge Reggiani. Hors la jouissance du pouvoir, hors l’abandon des nuits orgiaques, il ne connaissait le frisson qu’en écoutant Jacques Brel, Joe Dassin, Jean-Jacques Goldman ou Patrick Bruel. Le second a adouci ses luttes ouvrières de la même musique. Entre deux rounds de négociation, il s’est bercé de Michel Delpech. Plus souvent qu’à son tour, on l’a vu clore un souper de délégués FGTB debout sur la table, micro à la main, entonnant d’une voix leste Pas de boogie woogie, le tube gentiment anticlérical d’Eddy Mitchell.
Plus idéaliste que Michel Daerden, Marc Goblet a ajouté du Brassens dans le juke-box de ses rêves, et surtout du Ferrat. Les paroles du chanteur ardéchois, compagnon de route du Parti communiste français, ont formé la B.O. de ses indignations et de ses révolutions, de ses guerres et de ses grèves, fussent-elles fantasmées. Syndicaliste et fils de syndicaliste, Goblet a été de ceux qui manifestent, comme dans la chanson.
Longtemps, Marc Goblet et Michel Daerden ont progressé d’un même pas. Des années Martens aux années Dehaene, des années Dehaene aux années Verhofstadt, ils traversaient les gouvernements, survivaient aux tempêtes du front commun – rebaptisé « front comique » par les initiés, qui en savent toutes les turpitudes. Soutenus par un métabolisme de gladiateurs, la santé jamais prise en défaut, ils se voyaient en valeureux Liégeois. À l’époque, l’hégémonie socialiste en Wallonie semblait ne jamais devoir prendre fin. Il y avait des hauts, il y avait des bas, mais le fond de l’air restait rouge, même quand le vent tournait, et on pouvait encore s’offrir de menus extras sans craindre la curée. Le soir de ses vœux, fin janvier, Daerden remplissait le Forum de Liège, repu de se voir en Gainsbarre dans le miroir déformant de son fan-club. Goblet assurait le show jusqu’à Paris, où il arpentait en septembre la Fête de l’Humanité. Au stand de la fédération CGT du Périgord, il se hissait sur le podium et entonnait, devant trois cents personnes, Le Chiffon rouge, chanson commandée à l’origine par la mairie communiste du Havre, puis popularisée par Michel Fugain.
Michel Daerden est mort. À ses funérailles, le 13 août 2012, les haut-parleurs ont diffusé Salut, de Michel Sardou. « C’était très émouvant. On avait vraiment l’impression de retrouver sa vie dans la chanson », se souvient aujourd’hui Marc Goblet. Après le décès de son ami, le syndicaliste a poursuivi son ascension dans l’état-major de la FGTB. En septembre 2014, il a été promu secrétaire général, le plus haut grade de la maison. Ce même mois, par un hasard tragique, la Belgique politique se retournait comme une crêpe, avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement le plus à droite depuis un demi-siècle. Quant au Parti socialiste, pour la première fois depuis 1988, il était condamné à l’opposition. Restait donc la rue, qui à tout moment peut aussi dire non.
Les circonstances concordaient pour attribuer à Marc Goblet le rôle de sa vie, celui d’un Spartacus ménapien de l’ère Google. Alors, le secrétaire général s’est mis au turbin, fomentant des grèves tournantes, de province en province, lançant cent mille manifestants sur Bruxelles. La révolte populaire a grondé à l’automne 2014. Puis le brasier s’est mué en flammèches de plus en plus disparates. Marc Goblet a pourtant multiplié les harangues. Le 19 avril 2016, en meeting dans la capitale, il rudoyait les cadors du gouvernement fédéral, « au comportement de gamins de merde ». Dix-huit mois plus tard, l’intéressé ne retire rien. « Quand j’ai dit ça à la tribune, ça a provoqué un tonnerre d’applaudissements. Le soir même, j’ai eu droit à un coup de fil du Premier ministre, Charles Michel. Il m’a crié dessus. Je l’ai d’abord prié de se calmer. J’ai ajouté que, de toute façon, je ne retirerais rien de mes propos. Si j’ai utilisé ces mots-là, c’est que je les pensais. »
Là résidait tout le paradoxe de la rhétorique Goblet, sans filtre et sans chichis : en même temps qu’elle galvanisait l’armée des militants, elle renforçait la détestation dont, chaque jour un peu plus, le leader syndical faisait l’objet. Dans une époque éprise de dérision, son parler abrupt, rivé au premier degré, se heurtait aux convenances. Les réseaux sociaux servaient de prodigieuse caisse de résonance à la haine antisyndicale. Le paroxysme de l’exaspération anti-Goblet fut atteint en juin 2016. En déclarant, à la veille d’une grève générale, que les étudiants n’avaient qu’à trouver d’autres moyens que le train pour se rendre à leurs examens, le secrétaire général de la FGTB signa son arrêt de mort médiatique. Dans une Belgique cramoisie de frustration, il venait de commettre l’intolérable. « Ras-le-Goblet », ironisa un éditorialiste réputé. « C’est un fou », se permit Bart De Wever, la figure de proue des indépendantistes flamands.
À dire vrai, ces vingt-cinq dernières années, nulle personnalité publique n’a été autant haïe que Marc Goblet. « J’ai reçu quatre menaces de mort très précises, envoyées par courrier, révèle ce dernier. On n’a pas réussi à identifier le ou les auteurs. La police voulait me donner un gilet pare-balles quand je montais sur un podium. J’ai dit aux policiers : vous êtes fous, pas question ! Moi, je pense que tant que ce ne sont que des lettres de menace, je ne risque rien. Celui qui passe à l’action, il ne va pas prendre la peine de m’envoyer une lettre… Je ne l’ai jamais raconté dans la presse. Je ne voulais pas m’étaler. »
Avec leurs gueules de travers
Leurs fins de mois qui sonnent clair
Les uns me trouvent tous les vices
Avec leur teint calamiteux
Leurs fins de mois qui sonnent creux
D’autres trouvent que c’est justice
En cette fin d’été 2017, on retrouve Marc Goblet dans le centre de Liège, place Saint-Paul, au siège de la FGTB liégeoise. Dans un bureau nu où s’entassent quelques cartons remplis de classeurs, le syndicaliste se livre. La conversation se poursuivra à La Main à la pâte, cantine d’une certaine intelligentsia liégeoise, où se croisent hommes d’affaires, élus de gauche comme de droite, professeurs d’université, responsables syndicaux rouges et verts, ainsi que Lucien D’Onofrio, ex-homme fort du Standard, qui habite une rue voisine. Dans le brouhaha des tables, il faut parfois tendre l’oreille pour discerner le timbre fragile de Marc Goblet, réplique étouffée de la voix de stentor qui tonnait depuis le kiosque d’Avroy, face à la statue de Charlemagne, les matins de Premier mai.
En 2014, il s’était permis de tancer les dirigeants du PS, en leur lançant à la figure que ce n’était pas dans les loges VIP du Standard ou de Francorchamps qu’on prenait le pouls de la population. « C’est ça, la force du PTB. Leurs militants sont proches des travailleurs, ils sont sur le terrain, infatigables. Même s’ils ne sont que dix, ils donnent l’impression d’être mille. » La percée dans les sondages du parti marxiste-léniniste ne le réjouit pas plus que ça. « Fanfaronner sur cette hausse dans les intentions de vote, et en même temps refuser par principe de gouverner, c’est un peu tromper l’électeur. » On objecte que le PTB n’exclut pas de monter au pouvoir, à la condition que cela se fasse en dehors du cadre budgétaire imposé par l’Union européenne. « Mais est-ce qu’il sera possible de modifier les traités européens ? Même Macron se fait remballer quand il essaye d’obtenir une révision de la directive sur le détachement des travailleurs ! Je préfère l’attitude des Insoumis en France ou de Podemos en Espagne. Eux, s’ils pouvaient gouverner, ils le feraient. Voilà ce que je reproche au PTB : ne jamais oser prendre ses responsabilités. »
À Charles Michel, il ne laisse aucune circonstance atténuante. « Avant, je pense qu’il avait une fibre sociale. Maintenant, je le considère comme un représentant de la droite dure. » Les baisses de cotisations sociales, décrétées au nom de la compétitivité, le heurtent au plus profond. « La droite ne cesse d’offrir des cadeaux fiscaux à ceux qui ont déjà les moyens, en diminuant la part qui revient aux travailleurs. Ça, c’est ce qui m’horripile le plus, parce que c’est oublier qu’en décembre 1944, quand a été scellé le pacte sur la sécurité sociale, ce sont les travailleurs qui ont laissé une partie de leur salaire pour se protéger en matière de pension, de chômage, d’assurance maladie, pour avoir des congés payés… L’accord s’est fait au bénéfice des employeurs. Aujourd’hui, je ne dis pas qu’il ne faut rien changer, mais on peut apporter des modifications au système sans s’en prendre toujours au pouvoir d’achat des plus faibles. Au lieu de ça, le MR stigmatise les chômeurs. Le plus gonflé, c’est quand on nous traite de communistes arriérés lorsqu’on avance ce genre de raisonnement. Moi, je le dis, si être moderne, c’est accepter de réduire tous les acquis sociaux, je ne suis pas moderne !»
Dès le berceau, le cœur de Marc Gobelet a commencé à battre à gauche. Son père, Simon Goblet, était mineur et délégué syndical aux charbonnages de Battice. Sa mère, fille d’agriculteurs flamands, a grandi dans une ferme entre Saint-Trond et Tirlemont. « Je suis donc à moitié flamand », sourit Marc Goblet, pareil en cela à tant de socialistes liégeois – André Cools, Alain Van der Biest, Laurette Onkelinx, Michel Daerden, dont les racines s’étirent vers le nord du pays. Dieu n’était pas absent de son enfance, pas tout à fait présent non plus. « Je n’ai pas vraiment eu d’éducation catholique. J’ai quand même été baptisé, j’ai fait ma communion à l’église. Je me suis marié à l’église parce que c’était la tradition. Mais je n’ai jamais été pratiquant, même adolescent. »
Son éducation politique, en revanche, fut très tôt étoffée. Avec le père, vétéran des grandes grèves de 1960, les échanges sont nombreux. « Il avait arrêté l’école après les primaires. Il a commencé à travailler tout gamin, dans une usine textile. Puis il est allé au charbonnage à 18 ans. Les hommes, là, c’étaient des durs. Même les discussions entre délégués de la FGTB, c’était toujours très hard. Les mineurs étaient des gens assez particuliers. Ils avaient développé une solidarité terrible, à force de travailler dans des veines de quarante centimètres de large, exposés en permanence au risque d’un coup de grisou. Mon père pesait 140 kilos et mesurait 1 mètre 70. Quand il sortait de la mine, il était ensanglanté parce que son ventre raclait la paroi. » Dans la Belgique d’alors, le monde ouvrier reste un grand corps capable de se dresser avec véhémence contre l’ordre établi. Un monde d’hommes, presque exclusivement, où la discipline est celle d’une armée en marche. « Mon père s’est battu comme un enragé contre la direction du charbonnage, pour mettre fin aux retenues sur salaire qu’on faisait subir aux travailleurs s’ils triaient mal le charbon. Il était terrible, mon père, face à l’injustice ! Et les mineurs le suivaient. Quand il leur demandait de déposer leur lampe et de faire grève, ils s’exécutaient. Si une heure plus tard, après avoir négocié avec le patron, il revenait et leur disait de descendre dans la fosse, ils le faisaient. Sans demander pourquoi. »
De-ci de-là, les tribulations du paternel sont parsemées d’anecdotes au parfum suranné. « Ce sont les ouvriers qui ont payé la première voiture de mon père, pour qu’il puisse se déplacer et se rendre à la centrale. Si ça se passait aujourd’hui, vous imaginez le scandale ? En ce temps-là, les confrontations étaient parfois brutales, mais quand j’y réfléchis, je pense que la tâche des syndicalistes actuels est plus compliquée. Vu que les travailleurs sont plus instruits, chacun veut donner la leçon au délégué. »
Peu après la cession des activités au charbonnage de Battice, en 1961, Simon Goblet quitte ses mandats à la centrale des mineurs pour entrer comme permanent à la centrale générale, l’une des plus puissantes de la FGTB, dont il finira par présider la régionale Liège-Huy-Waremme. « Pour son départ à la pension, les travailleurs de la construction lui ont offert un vélo de route, un peu pour se moquer de lui. Mais dès qu’il a été retraité, il a commencé à partir partout avec son vélo. Par après, il a même acheté un vélo de course. Il a beaucoup maigri, il roulait entre septante et quatre-vingt kilomètres tous les jours. Il partait grimper des cols en France, à SaintPaul-de-Vence. Il a terminé sa vie à la Côte d’Azur. Il menait une vie de métronome : il se levait, déjeunait, partait faire son tour à vélo, revenait à la maison, mangeait, jouait un peu aux cartes avec ma mère, puis il se mettait dans le fauteuil pour regarder la télé. » Simon Goblet meurt le 9 juin 1994, à 68 ans. Plus de trente ans après la fermeture du charbonnage, des dizaines d’anciens mineurs, d’enfants de mineurs, d’épouses de mineurs assisteront à ses funérailles.
Entre-temps, Marc Goblet aura suivi le chemin paternel, après avoir arrêté l’école à 17 ans. « Je suis donc entré à la FGTB le 1er octobre 1982. Je travaillais comme chauffagiste dans une PME quand mon père m’a demandé si je voulais bosser à la centrale générale. Je connais bien le milieu des PME, je ne suis pas anti-entrepreneurs. Absolument pas. Si mon père ne m’avait pas fait cette proposition, je serais sans doute devenu patron de mon entreprise. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me demande cela, d’ailleurs, parce que je lui avais déjà dit que je voulais travailler au syndicat et lui ne voulait pas. Jusqu’à ce qu’il change d’avis. »
Depuis qu’il a quitté la direction de la FGTB, en 2016, Marc Goblet observe, avec intérêt toujours, avec inquiétude souvent, le cours de l’actualité politique et sociale. Lui qui a longtemps défendu un renforcement de l’Action commune, c’est-à-dire des liens entre le PS et la FGTB, a fini par se laisser gagner par la thèse inverse. « Aujourd’hui, nous sommes dans une situation très compliquée, et je suis d’avis que le syndicat doit être dans une position d’indépendance totale. Je ne pense pas que cela soit le moment de créer un lien avec les responsables politiques. Qu’on ait des contacts, c’est normal, mais il ne faut pas donner l’impression qu’en tant que représentants des travailleurs, nous sommes prêts à nous laisser mener par un parti politique. » Rien ne l’agace plus que les raccourcis qui le présentent comme un affidé du boulevard de l’Empereur. « Lorsque j’ai défendu les mots d’ordre de grève contre le gouvernement Michel, certains ont prétendu que j’étais la courroie de transmission du PS. Quelles âneries ! Dès que je suis devenu secrétaire général, j’ai justement pris l’option de ne jamais me rendre au bureau du PS, parce que j’estimais que mon objectif, c’était de défendre les travailleurs, et non pas d’être le relais de quelque parti politique que ce soit. » À la différence de Marc Goblet, son successeur, Robert Verteneuil, a choisi d’honorer de temps à autre son statut de membre invité au bureau du PS.
Marc Goblet, cependant, ne s’en cache pas : il a pris sa carte au parti à l’adolescence, a toujours voté socialiste, « sans hésitation ». Parallèlement à ses fonctions syndicales, il a tâté de la politique : conseiller communal, puis échevin à Herve, mais surtout président de la fédération verviétoise du PS, de 1998 à 2003. « Il ne faut pas se tromper : je n’étais pas un homme d’État, mais un homme de contre-pouvoir. Ma préférence, ça a toujours été le syndicat. Je me suis mis sur les listes PS, j’aurais pu devenir député plutôt que dirigeant de la FGTB, mais ça n’a pas été mon choix. »
Désormais éloigné de la vie publique qui a si longtemps mobilisé toute son énergie, il porte un regard dépité sur la déliquescence – électorale et morale – du socialisme à la liégeoise. « Les montages financiers qui ont été pratiqués chez Tecteo, Nethys, Publifin… Pfff… C’est minable, c’est plus machiavélique que ce qui se fait dans l’ingénierie offshore. » Il n’a jamais cautionné ces procédés, assure-t-il. En mars 2015, lors d’un débat à la Foire du livre, il s’était lancé dans un réquisitoire impitoyable contre Stéphane Moreau, le patron de la société Nethys. « Défendre l’économie publique, ça implique aussi de la considération pour les travailleurs, de la concertation sociale. Et ce qu’on dégage comme bénéfices, ça doit servir à améliorer le service rendu aux citoyens. Si c’est pour appliquer les recettes du privé et capitaliser à tout prix, alors qu’on laisse faire le privé !»
À présent, il certifie avoir vu venir la catastrophe. « Cela faisait des années que je disais aux dirigeants du PS : ça va vous péter à la gueule ! Mais je n’accepte pas qu’on accuse tout le panier quand il y a quelques pommes pourries – Stéphane Moreau et André Gilles, dans le cas présent. » Marc Goblet pointe cependant le silence coupable de Jean-Claude Marcourt, ancien ministre-président wallon, et de Willy Demeyer, bourgmestre de Liège, certes pas impliqués dans la tambouille Publifin, mais qui ont validé de loin tous les choix stratégiques de l’intercommunale. « Ils voyaient Publifin avant tout comme un exemple de réussite économique, et cela justifiait toutes les attitudes. » À quelques reprises, le syndicaliste dit avoir abordé le sujet, avec Marcourt notamment. En vain. « Il revenait toujours sur le fait que c’était un outil économique important pour la région. Moi, ce qui me heurtait le plus avec la rémunération de Stéphane Moreau, c’est moins le montant en tant que tel que le fait qu’il s’était octroyé ce salaire tout en imposant des sacrifices aux travailleurs de l’entreprise. Chez Nethys, le rapport était de 1 à 250, entre le salaire le plus bas et le salaire le plus haut. Je n’ai pas compris ni accepté que Stéphane Moreau continue malgré tout d’appartenir à la famille socialiste. Mais Jean-Claude Marcourt ou Willy Demeyer ne semblaient pas gênés, ils ne voyaient pas le problème. »
Elio Di Rupo, à la tête du parti depuis 1999, est de plus en plus contesté au sein du PS. Sa fragilité est d’autant plus grande qu’il a lui-même placé sa présidence sous le signe d’un narcissisme et d’une personnalisation parfois extrêmes – « il n’y a plus de Parti socialiste, il n’y a plus qu’un parti dirupiste », persiflera d’ailleurs l’ancien ministre-président wallon JeanMaurice Dehousse. Pour autant, Marc Goblet se refuse à rendre le Montois seul responsable des déboires actuels de son parti. « C’est trop simple de lui mettre tout sur le dos. La réalité n’est pas si évidente. Et c’est trop facile aussi de taper sur Di Rupo en coulisses, tout en restant soi-même calfeutré dans son confort. Si les mandataires socialistes sont si nombreux que ça à estimer qu’il doit partir, ils n’ont qu’à lui demander de remettre son mandat, plutôt que de le critiquer derrière son dos. » Le plus sain, reconnaît cependant Marc Goblet, aurait toutefois été qu’Elio Di Rupo se soumette de sa propre initiative à un vote de confiance. « Avant l’été passé, par exemple. Au moins, comme ça, les choses auraient été claires. Mais la question reste entière : eston sûr que le parti va aller mieux si on change de président maintenant ? »
À propos de l’état du PS, son vieil ami Michel Daerden disait souvent, lucide ou pessimiste : « C’est la fin de l’Empire romain…» Toutes les manifestations d’apparat et les signes extérieurs du pouvoir sont encore là, mais les barbares seraient aux portes de Rome, et les prémices de l’effondrement, déjà visibles. « Michel a toujours été très conscient du comportement de certains. Lui-même avait ses travers, mais je l’ai toujours estimé, car c’était un homme loyal, attentif aux plus faibles, bien plus qu’on ne le pense. C’était aussi quelqu’un de très émotif. On n’a pas toujours été très juste à son égard. »
En groupe en ligue en procession
Depuis deux cents générations
Si j’ai souvent commis des fautes
Qu’on me donne tort ou raison
De grèves en révolutions
Je n’ai fait que penser aux autres
Le 22 août 2016, Marc Goblet a annoncé qu’il quittait la scène, essoré de douleur, le corps en détresse. « Quand j’ai été nommé au secrétariat général de la FGTB, j’avais déjà des problèmes de santé. J’avais subi une opération en 2012 et c’est à ce moment-là qu’on a découvert que je souffrais d’une maladie auto-immune, qui malheureusement avait déjà bien avancé et fait des dégâts ailleurs. Je savais donc que les conditions ne seraient pas simples. Mais j’avais la volonté de réussir. Dans ma tête, j’étais d’ailleurs parti pour rester en fonction huit ans, de manière à accomplir deux mandats. Puis j’ai dû me résoudre à arrêter en 2018, après un mandat. Mais en 2016, c’est devenu trop difficile…»
Au mois d’août dernier, cinquante lauréats du prix Nobel ont été invités à identifier ce qui constituait selon eux la plus grande menace pour le devenir de l’humanité. Quatre d’entre eux ont répondu : la prolifération de l’égoïsme et de l’individualisme. L’ex-leader syndical partage leur analyse. Il regrette les actions trop timorées du front commun, incapable de faire entendre un discours dissonant.
« Aujourd’hui, les syndicats ont le devoir de réagir. Jusqu’où va-t-on se laisser mépriser, insulter ? Quand on voit tous les ministres qui nous traitent d’incompétents, d’irresponsables. Comme s’ils considéraient qu’eux détiennent toute la vérité. Quand je parle de réaction, je ne plaide pas pour lancer de nouvelles grèves tout de suite. Il faut toujours aller crescendo. Mais surtout, il faut continuer à exister. Bart De Wever a insulté les présidents de la CSC et de la FGTB, Marc Leemans et Rudy De Leeuw, en les traitant de syndicalistes incompétents. Quand on nous donne une gifle, on ne tend pas l’autre joue, hein ? »
Brûlant d’un feu resté intact, l’ancien chauffagiste poursuit sa vie sans regret, même si l’éloignement des militants lui pèse. « Cela a été assez compliqué, au début. Le bon déroulement de mon opération m’a ensuite donné beaucoup d’espoir, mais il faut un certain temps pour récupérer pleinement. Maintenant, je suis conscient que j’ai fait le bon choix, dans l’intérêt de ma famille, de ma santé, et de la FGTB, parce que la FGTB ne peut pas fonctionner sur deux cylindres au lieu de quatre. Mais je reste un militant – pour cela, pas besoin d’un titre. Être militant, c’est une vie avec son cœur, avec ses tripes, avec sa conscience pour se mettre au service des autres, en l’occurrence des travailleurs, dans le sens le plus global du terme. Parmi les travailleurs, il y a des salariés, des cadres, mais aussi des indépendants qui ne sont pas logés à meilleure, avec ce gouvernement de droite. »
Depuis tant d’années, et pour plusieurs années encore, il est de ceux qui manifestent.
En groupe en ligue en procession
Et puis tout seul à l’occasion
J’en ferai la preuve par quatre
S’il m’arrive Marie-Jésus
D’en avoir vraiment plein le cul
Je continuerai de me battre