Bart De Wever : « On ne peut pas faire un compromis avec soi-même, ce serait trop facile »

Journaliste François Brabant
Photographe Karoly Effenberger

Les années Dehaene, les négociations de l’été dernier avec le PS, la « méthode bicéphale », la prochaine réforme de l’État, l’avenir de Bruxelles… Le président de la N-VA entend jouer un rôle stratégique dans la transformation du pays. Il l’explique à Wilfried.

 

[:fr]Dans un débat en 2009, vous déclariez que vous n’étiez pas opposé en soi au principe d’une circonscription fédérale. Avez-vous changé d’avis depuis lors ?  

Non. Si on me pose la question, je donne toujours le même avis depuis dix ans, mais quand j’expose les conditions, tous les francophones quittent la salle. Pendant les négociations pour la formation du gouvernement, cette proposition est aussi venue sur la table. J’ai dit : « D’accord, je suis même demandeur ! » Grande surprise parmi les négociateurs francophones… Je leur ai expliqué qu’on devait alors supprimer les majorités spéciales (qui requièrent une majorité dans chaque groupe linguistique au parlement) et la parité linguistique au conseil des ministres. Car alors on est belges, et si on veut être belges, on l’est all the way. On ne peut pas tout avoir : être une minorité quand ça vous arrange, et être belge quand ça vous arrange. C’est l’un des deux. Les négociateurs francophones se sont exclamé en chœur : ah non ! Je les comprends et ça démontre bien l’hypocrisie qui se cache derrière cette idée.

De l’hypocrisie ?

Une circonscription ne crée pas une société. Sans société, on ne peut pas avoir de circonscription crédible. Or la société belge n’existe plus depuis des décennies, elle est en train de mourir. Les réseaux belges disparaissent sous nos yeux. Je l’ai vu dans ma propre vie politique. Des personnes comme Jean-Luc Dehaene, parfaitement bilingues, avec un vrai réseau belge, pouvaient encore être crédibles des deux côtés de la frontière linguistique, mais de telles personnes n’existent plus.

« La société belge n’existe plus depuis des décennies, elle est en train de mourir. Les réseaux belges disparaissent sous nos yeux. Je l’ai vu dans ma propre vie politique. »

Quel regard portez-vous sur les années Dehaene, Premier ministre de 1999 à 1999 ? 

Il restera l’un des derniers qui avait encore la capacité de faire fonctionner le système malgré tout, et qui avait aussi la base électorale pour le faire. Aucune de ces deux qualités n’est encore présente dans la génération politique actuelle. Dehaene a dit lui-même dans une de ses dernières interviews qu’il se sentait comme un dinosaure ayant vécu dans un monde disparu, et qu’il ne se reconnaissait plus du tout dans la politique comme elle fonctionne à présent. Je garde en mémoire mes rencontres avec lui en 2007, au moment des tentatives pour former un gouvernement « orange bleue ». La N-VA était alors en cartel avec le CD&V. C’est Jean-Luc Dehaene qui m’a expliqué la manière bicéphale de préparer une réforme de l’État quand on ne dispose pas d’une majorité des deux tiers à la Chambre. C’était un des éléments clés dans l’accord de base que la N-VA a conclu avec le PS cet été. J’ai dit aux négociateurs socialistes : bon, on n’a pas les deux tiers pour régionaliser de nouvelles compétences, mais ce qu’on peut faire, c’est le système Dehaene.

Le système Dehaene, à quoi cela correspond-il ? 

On garde la compétence au niveau fédéral, mais on met l’argent dans des enveloppes séparées et chaque communauté fait ce qu’elle veut avec son enveloppe. Après quelques années à ce régime, la rupture est complète. Il n’y a alors plus qu’à adapter les institutions à la réalité qu’on a créée dans les faits. C’est en procédant comme ça qu’on a scindé l’enseignement, et on pourrait très bien le faire à nouveau avec d’autres départements clés. C’est Dehaene qui m’a expliqué personnellement cette technique en 2007 : la méthode bicéphale. J’ai bien noté. Dommage qu’on a raté cette opportunité avec le PS.

« Mentalement, la Flandre a fait une croix sur Bruxelles. S’il le faut, elle la lâchera », affirmait l’éditorialiste Rik Van Cauwelaert dans une interview récente à L’Écho. Il a raison ?

Je ne le dirais pas, non. Je vous ai dit qu’un de mes mots-clés, c’était la méthode bicéphale. Si c’était Paul Magnette qui donnait cette interview, il parlerait probablement de la méthode tricéphale. Donc, il y a une différence d’opinion sur le fait qu’on doit se baser sur deux communautés – francophone et néerlandophone – ou bien sur trois régions – Flandre, Wallonie, Bruxelles. À la N-VA, on a conçu un modèle confédéraliste. On l’a fait relire par des bureaux d’étude internationaux pour voir si c’est un modèle qui fonctionne ou non, donc ce n’est pas un travail de nul, on l’a peaufiné pendant des années. Ce modèle peut fonctionner si on veut le faire fonctionner, ce qui est une condition très importante. C’est un modèle basé sur les communautés, y compris à Bruxelles, où les habitants devraient choisir une communauté, ce que les Bruxellois, en majorité, ne veulent plus faire. Je dois avouer que ce sera probablement compliqué de faire un compromis sur cette base-là avec les francophones – on ne peut pas faire un compromis avec soi-même, ce serait trop facile. La plupart des francophones qui vivent à Bruxelles vont sans doute dire : on n’a pas envie de choisir une communauté, d’avoir une sous-nationalité soit flamande, soit wallonne. Regardez la réaction de Zakia Khattabi… Je l’adore, chaque fois qu’elle dit quelque chose, je suis très intéressé. Quand j’étais avec Magnette, elle a dit : « Maintenant, c’est un Wallon et un Flamand qui s’entendent sur le dos de Bruxelles pour faire un accord. » Pour la plupart des Flamands, c’est du non-sens ! Qu’est-ce qu’elle dit ? Sur le dos de Bruxelles ? L’un est d’Anvers, l’autre de Charleroi. Gand et Liège ne sont pas à table non plus. C’est du non-sens… Mais ça illustre une logique de plus en plus courante à Bruxelles: on n’est pas wallon, on n’est pas flamand, on est bruxellois. Donc, soutenir qu’on peut faire un compromis sans tenir compte de ce que veut la majorité de la population bruxelloise, c’est compliqué.

Vous ouvrez la porte à un modèle confédéral basé sur trois entités ?

Non, car si vous me demandez, comme président de parti, quelle est ma vision sur l’avenir de la Belgique, je vais répondre ce qui est dans mon programme : évoluer dans un sens bicéphale. Pour nous, lâcher Bruxelles, comme capitale de l’Europe, comme zone métropolitaine, soyons clairs : c’est inacceptable. Donc on doit chercher un chemin qui pourrait satisfaire tout le monde. C’est hyper compliqué, mais pas impossible.

 

Retrouvez l’interview complète de Bart De Wever dans notre numéro 13, en vente dès le jeudi 15 octobre dans toutes les librairies et via notre boutique en ligne.

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