« On ne peut pas faire un compromis avec soi-même, ce serait trop facile »

L'interview bonus de Bart De Wever
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Les années Dehaene, les négociations de l’été dernier avec le PS, la « méthode bicéphale », la prochaine réforme de l’État, l’avenir de Bruxelles… Le président de la N-VA entend jouer un rôle stratégique dans la transformation du pays. Il l’explique à « Wilfried ».

 

Dans un débat en 2009, vous décla­riez que vous n’étiez pas oppo­sé en soi au prin­cipe d’une cir­cons­crip­tion fédé­rale. Avez-vous chan­gé d’avis depuis lors ? 

Non. Si on me pose la ques­tion, je donne tou­jours le même avis depuis dix ans, mais quand j’expose les condi­tions, tous les fran­co­phones quittent la salle. Pendant les négo­cia­tions pour la for­ma­tion du gou­ver­ne­ment, cette pro­po­si­tion est aus­si venue sur la table. J’ai dit : « D’accord, je suis même deman­deur ! » Grande sur­prise par­mi les négo­cia­teurs fran­co­phones… Je leur ai expli­qué qu’on devait alors sup­pri­mer les majo­ri­tés spé­ciales (qui requièrent une majo­ri­té dans chaque groupe lin­guis­tique au par­le­ment) et la pari­té lin­guis­tique au conseil des ministres. Car alors on est belges, et si on veut être belges, on l’est all the way. On ne peut pas tout avoir : être une mino­ri­té quand ça vous arrange, et être belge quand ça vous arrange. C’est l’un des deux. Les négo­cia­teurs fran­co­phones se sont excla­mé en chœur : ah non ! Je les com­prends et ça démontre bien l’hypocrisie qui se cache der­rière cette idée.

De l’hypocrisie ?

Une cir­cons­crip­tion ne crée pas une socié­té. Sans socié­té, on ne peut pas avoir de cir­cons­crip­tion cré­dible. Or la socié­té belge n’existe plus depuis des décen­nies, elle est en train de mou­rir. Les réseaux belges dis­pa­raissent sous nos yeux. Je l’ai vu dans ma propre vie poli­tique. Des per­sonnes comme Jean-Luc Dehaene, par­fai­te­ment bilingues, avec un vrai réseau belge, pou­vaient encore être cré­dibles des deux côtés de la fron­tière lin­guis­tique, mais de telles per­sonnes n’existent plus.

« La socié­té belge n’existe plus depuis des décen­nies, elle est en train de mou­rir. Les réseaux belges dis­pa­raissent sous nos yeux. Je l’ai vu dans ma propre vie politique. »

Quel regard por­tez-vous sur les années Dehaene, Premier ministre de 1999 à 1999 ? 

Il res­te­ra l’un des der­niers qui avait encore la capa­ci­té de faire fonc­tion­ner le sys­tème mal­gré tout, et qui avait aus­si la base élec­to­rale pour le faire. Aucune de ces deux qua­li­tés n’est encore pré­sente dans la géné­ra­tion poli­tique actuelle. Dehaene a dit lui-même dans une de ses der­nières inter­views qu’il se sen­tait comme un dino­saure ayant vécu dans un monde dis­pa­ru, et qu’il ne se recon­nais­sait plus du tout dans la poli­tique comme elle fonc­tionne à pré­sent. Je garde en mémoire mes ren­contres avec lui en 2007, au moment des ten­ta­tives pour for­mer un gou­ver­ne­ment « orange bleue ». La N‑VA était alors en car­tel avec le CD&V. C’est Jean-Luc Dehaene qui m’a expli­qué la manière bicé­phale de pré­pa­rer une réforme de l’État quand on ne dis­pose pas d’une majo­ri­té des deux tiers à la Chambre. C’était un des élé­ments clés dans l’accord de base que la N‑VA a conclu avec le PS cet été. J’ai dit aux négo­cia­teurs socia­listes : bon, on n’a pas les deux tiers pour régio­na­li­ser de nou­velles com­pé­tences, mais ce qu’on peut faire, c’est le sys­tème Dehaene.

Le sys­tème Dehaene, à quoi cela correspond-il ? 

On garde la com­pé­tence au niveau fédé­ral, mais on met l’argent dans des enve­loppes sépa­rées et chaque com­mu­nau­té fait ce qu’elle veut avec son enve­loppe. Après quelques années à ce régime, la rup­ture est com­plète. Il n’y a alors plus qu’à adap­ter les ins­ti­tu­tions à la réa­li­té qu’on a créée dans les faits. C’est en pro­cé­dant comme ça qu’on a scin­dé l’enseignement, et on pour­rait très bien le faire à nou­veau avec d’autres dépar­te­ments clés. C’est Dehaene qui m’a expli­qué per­son­nel­le­ment cette tech­nique en 2007 : la méthode bicé­phale. J’ai bien noté. Dommage qu’on a raté cette oppor­tu­ni­té avec le PS.

« Mentalement, la Flandre a fait une croix sur Bruxelles. S’il le faut, elle la lâche­ra », affir­mait l’éditorialiste Rik Van Cauwelaert dans une inter­view récente à L’Écho. Il a raison ?

Je ne le dirais pas, non. Je vous ai dit qu’un de mes mots-clés, c’était la méthode bicé­phale. Si c’était Paul Magnette qui don­nait cette inter­view, il par­le­rait pro­ba­ble­ment de la méthode tri­cé­phale. Donc, il y a une dif­fé­rence d’opinion sur le fait qu’on doit se baser sur deux com­mu­nau­tés – fran­co­phone et néer­lan­do­phone – ou bien sur trois régions – Flandre, Wallonie, Bruxelles. À la N‑VA, on a conçu un modèle confé­dé­ra­liste. On l’a fait relire par des bureaux d’étude inter­na­tio­naux pour voir si c’est un modèle qui fonc­tionne ou non, donc ce n’est pas un tra­vail de nul, on l’a peau­fi­né pen­dant des années. Ce modèle peut fonc­tion­ner si on veut le faire fonc­tion­ner, ce qui est une condi­tion très impor­tante. C’est un modèle basé sur les com­mu­nau­tés, y com­pris à Bruxelles, où les habi­tants devraient choi­sir une com­mu­nau­té, ce que les Bruxellois, en majo­ri­té, ne veulent plus faire. Je dois avouer que ce sera pro­ba­ble­ment com­pli­qué de faire un com­pro­mis sur cette base-là avec les fran­co­phones – on ne peut pas faire un com­pro­mis avec soi-même, ce serait trop facile. La plu­part des fran­co­phones qui vivent à Bruxelles vont sans doute dire : on n’a pas envie de choi­sir une com­mu­nau­té, d’avoir une sous-natio­na­li­té soit fla­mande, soit wal­lonne. Regardez la réac­tion de Zakia Khattabi… Je l’adore, chaque fois qu’elle dit quelque chose, je suis très inté­res­sé. Quand j’étais avec Magnette, elle a dit : « Maintenant, c’est un Wallon et un Flamand qui s’entendent sur le dos de Bruxelles pour faire un accord. » Pour la plu­part des Flamands, c’est du non-sens ! Qu’est-ce qu’elle dit ? Sur le dos de Bruxelles ? L’un est d’Anvers, l’autre de Charleroi. Gand et Liège ne sont pas à table non plus. C’est du non-sens… Mais ça illustre une logique de plus en plus cou­rante à Bruxelles : on n’est pas wal­lon, on n’est pas fla­mand, on est bruxel­lois. Donc, sou­te­nir qu’on peut faire un com­pro­mis sans tenir compte de ce que veut la majo­ri­té de la popu­la­tion bruxel­loise, c’est compliqué.

Vous ouvrez la porte à un modèle confé­dé­ral basé sur trois entités ?

Non, car si vous me deman­dez, comme pré­sident de par­ti, quelle est ma vision sur l’avenir de la Belgique, je vais répondre ce qui est dans mon pro­gramme : évo­luer dans un sens bicé­phale. Pour nous, lâcher Bruxelles, comme capi­tale de l’Europe, comme zone métro­po­li­taine, soyons clairs : c’est inac­cep­table. Donc on doit cher­cher un che­min qui pour­rait satis­faire tout le monde. C’est hyper com­pli­qué, mais pas impossible.

 

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