Une par une, du bout des doigts, Nathalie Preud’homme décroche les limaces de ses choux. Elle les place dans un seau, traverse le jardin, et les jette là, sur le compost. Dans quelques jours, les limaces reviendront. Alors, elle recommencera.
Nathalie Preud’homme n’est pas maraichère à la base. Une formation comme agent de voyage, du secrétariat ensuite. L’agriculture, normalement, c’est son père. Lorsqu’elle reprend l’exploitation, en 2021, ses cheveux sont depuis longtemps tissés d’argent.
Très vite, elle « sacrifie » un demi-hectare : « Je voulais remettre un peu de biodiversité. » Son frère gère les champs, pois, orge, froment ; elle s’occupera du potager et du verger, en agroécologie. Elle y installe des pommiers oubliés, un nichoir pour les chouettes. Ça n’a rien coûté : 2 472,77 euros avancés pour les plants, Yes We Plant en a reversé 3 150. Les haies autour du verger, aussi, sont là grâce aux subsides. De larges rangées de néfliers, de cassis, de cognassiers, des machins incroyables, tout hirsutes, avec des tapis d’herbes folles aux pieds. Et des fleurs. « Les coquelicots sont revenus », souffle Nathalie Preud’homme.
Son père ne comprend pas toujours ce qu’elle fait. Pour les limaces, il a voulu aider : « Si tu veux, il y a encore de l’insecticide. » « Pas besoin, papa. » Elle, elle le comprend. Au champ pendant cinquante ans, il fait partie de la génération PAC, témoin et moteur du déploiement de l’agriculture intensive, « condi-tionnée, petit à petit ». « Tracteur plus gros, matériel plus gros. Tel produit, vous évitez les maladies. On arrive à de bons rendements, à de belles cultures. Pourquoi il faudrait faire marche arrière ? »
À l’époque, les primes sur les arbres fruitiers existaient déjà. Pour les arracher. Cinq cents francs belges par souche, environ quarante euros. Aujourd’hui, pour un fruitier planté, Nathalie Preud’homme touche vingt-cinq euros.
Il reste une dernière plantation à visiter. Celle-là est riquiqui, très serrée, et c’est fait exprès : c’est une forêt Miyawaki, ces fameuses microplantations urbaines. Autant décriée qu’applaudie : naïve, coûteuse, fanfaronne, accusent les critiques, irrités même par son nom. « J’appelle ça un bosquet ? C’est un peu plat », soupire Nicolas de Brabandère, fondateur d’Urban Forests. Il plante de son côté, ou en duo avec l’entreprise SUGi, 50 000 arbres au compteur européen. Et il est las des polémiques. « Je pense que les gens sont capables de faire la différence entre une forêt, et une forêt Miyawaki. » Ce qu’il souhaite, lui, c’est recréer « un morceau de forêt primordiale ». Des « forêts à vivre », participatives, où les humains se réconcilieraient avec le sauvage. Où ils seraient, enfin, dans l’action. « Les chiffres sont nécessaires, mais ce n’est pas ça qui va faire bouger les choses. La preuve, ils sont catastrophiques. Et ça change quoi ? » Il forme un rond avec ses doigts.
L’une de ces forêts est à Malines. Un projet financé par Vittel, entre une maison claire et un parc propret. Un joyeux bazar, un tricot de rameaux et de brindilles, tout pailleté d’insectes. J’y ai découvert des arbres que je n’avais jamais vus ; que je n’avais jamais pris le temps de voir. Le sorbier des oiseleurs, ça vous parle ? Des feuilles sombres, pleines de dents. C’est joli. On l’oublierait presque : avant, il y avait un parking ici.
Puis je l’ai aperçu, lové sous une feuille de tilleul : un petit, tout petit espoir. Lentement, il s’est glissé contre moi, au creux du ventre, au coin des yeux. Une tendresse, épaisse comme la sève, qui n’éclôt qu’ici, dans la terre et le vent. « Ça fait du bien aux gens », avait dit Nicolas de Brabandère. « C’est réel. »
Les minutes s’égrenaient en silence ; soudain, il fallait partir. J’ai attrapé mon vélo et rejoint la route principale, laissant derrière la minijungle qui agrandit le cœur. J’ai dévalé le bitume, à côté des voitures, et des voitures, et des voitures. Et tout a disparu.
Inclus dans le Wilfried N°25
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