Des millions d’arbres à planter, le maratronc wallon

N°25 / Printemps 2024
Journaliste Chloé Glad

Pierre Hermans, CEO de Sylva Nova

Yes We Plant ? Pierre Hermans voit ce que c’est, oui. Il n’y participe pas. Déjà, il travaille en forêt, or Yes We Plant concerne d’autres espaces, les « milieux ouverts », bref, pas lui. Et puis, il lui faut des surfaces. « Sinon on se retrouve à faire du paysagisme. Mais c’est pas notre boulot. »
Lui est expert forestier, CEO de Sylva Nova, « deux millions d’arbres chaque année » en Europe. Pourtant, il n’apparaît pas au compteur de Three Billion Trees. Depuis la belle vallée de la Julienne, entre Liège et Maastricht, Pierre Hermans travaille dans l’ombre.

Sylva Nova est en fait le bras technique de gros noms, Fondation Jane Goodall, ONU, et surtout Reforest’Action : « Hors France, 80 % de leurs projets européens, c’est nous qui les faisons. » L’entreprise française trouve les budgets, Sylva Nova les convertit en forêts, repère les terrains, gère les sous-traitants, surveille les plants pendant cinq ans. D’où vient l’argent ? Banques. Grands groupes. Luxe, énergie, automobile. Au pledge européen, Reforest’Action enregistre 536 000 arbres.
Il sait ce qui se murmure dans son dos. « Pierre Hermans est allé se vendre ». C’est un « opportuniste », « caution de l’industrie ». Ça le fait sourire. « Ils ont une activité qui est légale. Ils vendent des produits, que même les gens qui les critiquent utilisent. Moi, je suis pas censeur. Tant que la com autour est correcte, qu’il n’y a techniquement pas d’exagération, leurs motivations profondes, je m’en moque. Mon écosystème, il est restauré. » Dans la vallée, classée Natura 2000, Engie « a mis des billes ». D’Ieteren, distributeur de Volkswagen et Porsche, aussi.

Le métier a changé. Dans les années 1990, Sylva Nova conseillait uniquement les propriétaires de forêts privées dans le but de produire du bois, le plus joli tronc possible pour les plus jolies planches possibles, que faire d’autre avec une forêt ? On ne parlait ni de biodiversité, ni de changement climatique, observe Pierre Hermans. On est passé d’un « petit monde de forestiers qui vivaient entre eux » à une forêt qui « intéresse tout le monde, parce que tout le monde se rend compte qu’il y a un enjeu ».
Pour autant, l’obsession de la compensation, une forêt juste pour le carbone, il s’en méfie. Sa spécialité à lui, c’est planter après les incendies, les tempêtes, les maladies. « On valorise au maximum ce qui est encore sur place, il explique. C’est très rare qu’on parte d’un terrain nu. Mais c’est très rare qu’on puisse uniquement travailler avec la nature. » Problème de timing : impossible de dire à l’entreprise, « ne vous tracassez pas, dans quarante ans, on va vous donner des résultats, blague-t-il. Trois ans, pour de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), c’est pas mal. Trois ans, on est déjà très contents. »

Personne n’est contre les arbres. Son capital sympathie est énorme. L’arbre est frais, l’arbre est fun, bien plus qu’une tourbière ou un marais. Pour éviter le treewashing, il est donc « essentiel d’établir des normes claires » afin de « planter en plus d’autres actions, et non à la place », met en garde la Commission dans un document consacré au pledge. Car dans cette course contre la montre climatique, le secteur privé veut et doit être impliqué, rappelle-t-elle. Pour « mobiliser des fonds », évidemment. Mais aussi, des surfaces. C’est que trois milliards d’arbres supplémentaires, ça prend de la place.

Deux millions d’hectares, environ deux tiers de Belgique. Ça n’inquiète pas la Commission. « Certainement faisable », écrit-elle : en plus de tous les sites naturels à restaurer, « 4,8 millions d’hectares pourraient devenir disponibles » d’ici 2030. Ces nouveaux terrains, ce sont les terres agricoles abandonnées.
C’est ce qu’a fait Life Terra à Ostende. Qui ? Life Terra, contributeur du pledge, fondation néerlandaise bénéficiaire de fonds européens via le programme Life. En 2022, elle afforestait (c’est le terme) un ancien terrain agricole avec l’aide d’employés Ernst & Young, multinationale d’origine britannique. Life Terra a réalisé deux autres projets en Belgique, en forêt cette fois. Puis plus rien. La fondation « se déploie dans d’autres pays européens », prioritaires donc, explique Life Terra dans un mail. « Aussi, l’accès à la terre peut être difficile en Belgique », ajoute-t-elle. Elle a tout de même réussi à trouver un site à Braine-le-Comte, et un autre à Bonlez, une parcelle bordée de champs, avec une grille à l’entrée d’où pendouille un petit panneau « À vendre, bois de chauffage ».

Notes de bas de page

Cette enquête a bénéficié du soutien du Fonds pour le journalisme.

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