Egbert Lachaert : « La dette historique à l’égard d’Israël n’excuse pas les crimes commis »

N°25 / Printemps 2024
Journaliste François Brabant

Depuis octobre dernier, le député Egbert Lachaert se distingue par ses prises de position en pointe sur le drame en cours à Gaza. L’ancien président de l’Open VLD propose que la Belgique se donne un objectif : organiser une grande conférence de la paix et jouer un rôle moteur pour une relance des négociations au Moyen-Orient.

Né en 1977, député depuis 2013, Egbert Lachaert est surtout connu du côté fran-cophone pour le mandat de président de l’Open VLD qu’il a exercé de 2020 à juin 2023. Une Belgique francophone qu’il apprécie, du reste, en tant que fervent supporter du Standard de Liège, au point de se rendre très souvent au stade de Sclessin, malgré les deux heures de route depuis son domicile de Merelbeke, dans la périphérie de Gand.

Le libéral flamand se distingue, depuis le 7 octobre dernier, par ses positions en pointe sur le drame en cours au Moyen-Orient. Ses interventions ciselées au parlement l’ont imposé, sur ce sujet, comme l’une des voix belges qui comptent. Il a aussi joué, en coulisses, un rôle crucial pour rapprocher les points de vue et faire adopter par la Chambre une résolution sur la situation à Gaza. Le texte a été voté à une écrasante majorité, malgré certaines réticences de départ du MR, qui le jugeait trop favorable à la Palestine.

Dans votre approche du conflit israélo-palestinien, quel est votre point de départ ?
Je défends le droit d’Israël d’exister. Ce n’est pas évident dans le monde arabe, où cet État est entouré d’ennemis. Cela dit, ça n’excuse pas des crimes de guerre. Or quand des Israéliens construisent des colonies, quand ils s’avancent en territoire palestinien, personne n’ose rien dire parce que ce sont les Israéliens. Pour moi, c’est incompréhensible. Je sais le drame qui a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains membres de ma famille ont été déportés dans les camps de concentration. J’ai une grande sensibilité par rapport à ce qu’ont subi les Juifs. Les grands-parents de ma mère ont fini à Breendonk parce qu’ils avaient aidé des Juifs persécutés par les Allemands pendant la guerre. Mais cette dette historique n’excuse pas d’autres crimes commis aujourd’hui vis-à-vis d’autres êtres humains. Et là, il y a toujours cette difficulté de s’exprimer quand il s’agit d’Israël, de nommer les choses. Cela m’a toujours étonné. Dès le début de la guerre à Gaza, à l’automne dernier, je me suis fixé cette ligne de conduite : dire la vérité. J’ai aussi une autre conviction forte : ce n’est pas par les armes qu’on construit la paix. Les armes ne font qu’amplifier la haine. C’est la leçon que je retiens après avoir vu au Sénat le film montrant les atrocités du Hamas.

Le film a été montré à l’initiative du MR, faisant suite au refus de la Chambre d’organiser une projection pour tous les députés. Pourquoi avez-vous voulu le voir ?
Beaucoup de mes collègues n’ont pas supporté longtemps ces images. Samuel Cogolati (Ecolo) a quitté la salle après dix minutes. Certains députés sont restés, mais ne regardaient plus l’écran. J’en connais plusieurs qui ont dû consulter un médecin par la suite. C’était vraiment insoutenable, traumatisant. En quarante minutes, on a dû voir 130 assassinats… Malgré tout, je ne regrette pas d’avoir vu ce film. Ce qui m’a frappé chez les terroristes du Hamas, c’est qu’ils ne voient plus les citoyens israéliens comme des êtres humains. Ce ne sont pas des personnes que l’on doit respecter, ce sont des bêtes qu’on tue. Les corps des victimes qui étaient emmenés vers Gaza, démembrés… Ce soldat israélien à qui l’on coupe la tête… L’inhumanité se ressentait très fort dans ces images. Mais de l’autre côté, dans les déclarations des ministres du gouvernement Netanyahou, on retrouve cette même façon de parler des Palestiniens, comme s’ils n’étaient pas humains. La haine est aussi profonde dans chaque camp. Quand on en arrive à ce stade où les adversaires se déshumanisent l’un l’autre, la paix est très loin.

Comment garder espoir ?
Pour moi, les personnes qui sont coupables si ce conflit dure tant, ce sont toutes celles qui en Occident donnent 100 % raison à l’un ou l’autre camp. C’est pour ça que je suis très fâché contre Theo Francken (N-VA), par exemple. Avec ce type, c’est unilatéral : « Je soutiens à 100 % Israël. » C’est à cause de politiciens comme ça que la guerre continue ! Parce que c’est notre rôle, en Europe, de jouer un rôle modérateur, afin de créer petit à petit les conditions d’une paix. Et celle-ci ne pourra jamais advenir si l’on donne à 100 % raison à l’un ou à l’autre. Des crimes de guerre sont commis de part et d’autre, et nous devons chercher des alliés qui sont en mesure de parler avec les deux camps.

Dans ses Mémoires, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair retrace le déroulement des pourparlers en Irlande du Nord, qui ont mené en 1998 à l’accord de paix du Vendredi saint. Selon lui, un conflit communautaire qui s’est envenimé ne pourra jamais être résolu si on laisse les parties se débrouiller seules. Un médiateur est indispensable. Dans le cas nord-irlandais, l’intervention de diplomates finlandais, canadiens ou sud-africains a beaucoup aidé au cessez-le-feu.
C’est évident, parce que les belligérants, ils vivent du conflit. Le Hamas a voulu cette guerre. Netanyahou était presque politiquement mort. Pour lui, la guerre, c’était une solution aussi. En fait, ce que fait Israël, c’est renforcer le Hamas. On peut bien sûr tuer quelques dirigeants du Hamas, mais chaque fois qu’on en tue un, dix autres surgissent. La haine crée la haine.

Dans le documentaire de James Bluemel, « Il était une fois en Irlande du Nord, réalisé en 2023 pour la BBC, l’une des personnes interviewées explique qu’en un sens, il a fallu tous ces morts pour arriver à la paix. C’était une étape nécessaire pour créer un degré suffisant de lassitude du conflit dans la société et pousser les belligérants à négocier. Le problème, c’est qu’au Moyen-Orient…
On n’est pas encore à ce stade-là… Surtout du côté israélien. Il y a des protestations contre le gouvernement Netanyahou, mais pas assez pour qu’il vacille. La clé pour la résolution du conflit se trouve aux États-Unis. Sans leur soutien, Israël ne peut pas tenir. L’Europe est trop divisée, c’est toujours notre problème. Comme la Belgique assure depuis le 1er janvier la présidence du Conseil de l’Union européenne, ça nous donne une légitimité pour chercher des partenaires.

Lesquels ?
L’Espagne. Peut-être la France. Les Européens doivent comprendre que Gaza, c’est tout près de nous. C’est aussi ce que je reproche à Theo Francken. Il se plaint toujours que l’Europe est envahie par les migrants. Mais que veut-on quand on déplace deux millions de Gazaouis et qu’on cherche à les envoyer dans le désert du Sinaï ? Ces personnes vont certainement demander l’asile, en Europe ou ailleurs. Et je le comprends, parce qu’elles ne peuvent plus retourner chez elles, leurs maisons ont été détruites.

La diplomatie belge a-t-elle un rôle à jouer ?
Je crois qu’elle a un rôle, mais avec une certaine humilité. La position de la Belgique, en soi, ne va rien changer pour Israël ou le Hamas. Mais sur la scène internationale, on est assez apprécié pour notre diplomatie. La position belge peut influencer d’autres gouvernements. Avec de bons arguments, on peut faire changer d’avis de grands pays d’Europe, qui ont, eux, une réelle prise sur les événements. Ce n’est pas négligeable… L’Allemagne, par exemple, défend la sécurité d’Israël à tout prix. Mais à un moment, l’Allemagne pourra comprendre qu’une telle politique guerrière met la sécurité même d’Israël en danger. On a donc un vrai rôle à jouer, mais indirect. La présidence du Conseil de l’Union européenne nous donne aussi un levier supplémentaire. Si une coalition de grands pays se met en place pour soutenir une initiative diplomatique ou organiser une conférence de paix, on pour-rait l’accueillir à Bruxelles. Elle aurait une certaine crédibilité pour le faire. La Belgique peut jouer un rôle de leader en vue d’une conférence de paix.

Depuis vingt ans, malgré des changements dans la composition du gouvernement fédéral, la ligne belge sur la question israélo-palestinienne reste très constante. Cela vous étonne ?
Je crois que les trois quarts du monde politique belge partagent le même point de vue. Cela m’a frappé en écoutant les débats lorsque nous avons voté à la Chambre une résolution sur le Moyen-Orient. J’ai même été un peu surpris par l’intervention du Vlaams Belang en séance plénière. Elle allait dans le même sens que notre résolution, même si ses députés n’ont pas voté pour. Ce sont en fait la N-VA et le MR qui ont exprimé le plus de réticences. Mais je vois aussi que Georges-Louis Bouchez a évolué depuis le mois d’octobre. Ses dernières prises de position sont plus équilibrées. Et je suis certain qu’il y a de grands débats internes à la N-VA. J’identifie trois grands groupes au sein du parti. Le premier, c’est la droite conservatrice. Ces gens-là, comme Theo Francken, sont à 100% pro- Israël, d’une manière assez aveugle. Ils ont un réflexe d’alignement total sur Israël, parce qu’Israël, c’est le monde occidental. J’ai un vrai problème moral avec cette position-là. La moitié des morts à Gaza sont des mineurs. Cette insensibilité vis-à-vis des victimes, souvent des enfants, je ne comprends pas… Le deuxième groupe au sein de la N-VA, ce sont les libéraux, des personnes qui estiment que l’Open VLD n’est pas assez radical sur le socio-économique. Ces gens-là ne partagent pas la ligne Francken. Et enfin, il y a un troisième groupe, les vrais nationalistes flamands, les anciens de la Volksunie, qui était historiquement un parti pro-Palestine. Ils perçoivent les Palestiniens comme un peuple qui lutte pour son indépendance, à l’image des Flamands. Bien sûr, ce qui joue aussi à la N-VA, c’est Anvers, d’une importance capitale pour le parti. Il y a un certain électoralisme chez Bart De Wever. Par le passé à Anvers, les électeurs juifs se partageaient entre Open VLD et N-VA. C’est pour cette raison qu’après le 7 octobre, De Wever a d’abord déclaré qu’il n’y avait qu’un seul camp à choisir, celui d’Israël. Pour lui, c’était une façon de faire sa publicité auprès du monde juif anversois, en lui disant : votez N-VA.

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