Des millions d’arbres à planter, le maratronc wallon

N°25 / Printemps 2024
Journaliste Chloé Glad

Pierre-Olivier Bonhomme de la Société royale forestière de Belgique

Ça ressemble à n’importe quelle forêt ; ce n’est pas le cas. Les arbres y sont espacés, plus que d’habitude. Il y a de la ronce, du bois mort. Et des cèdres de l’Atlas, inhabituels sous ces latitudes.
Bienvenue dans la forêt mosaïque, la « forêt de demain ». Un concept venu de France et adopté par la Société royale forestière de Belgique (SRFB), qui a travaillé avec Life Terra à Bonlez. Le principe : diversifier. Multiplier les techniques et les essences, pour préparer la forêt à l’incertain et l’inéluctable. Dans un coin, exploiter des arbres ; dans un autre, les laisser vieillir et abriter la faune, par exemple. Une idée intéressante, estime Marc Dufrêne, écologue et chercheur à Gembloux Agro-Bio Tech. Mais pas aboutie.
Les logiques de production ne sont pas remises en question, regrette-t-il. « Il n’y a pas eu de réflexion sur : qu’est-ce qu’on veut retirer réellement de la forêt ? Et est-ce qu’on y est nécessaire ? » Il évoque un interventionnisme systématique, impatient, typique de nos époques, qui heurte parfois plus qu’il ne sert. Prenez le robinier, espoir forestier jadis, aujourd’hui invasif. Marc Dufrêne suggère un pas de côté : laisser faire. Un arbre, « ça pousse tout seul », « au moins 80 ans » et jusqu’à 150, 700, 1000. Où placer le forestier là-dedans, lui qui « éduque » l’arbre et lui donne une valeur ? Et la filière bois, 72 000 emplois en Belgique ? Et le poêle à pellets du salon ?

Pendant qu’on parle, les arbres ont soif. Les arbres meurent. Sur des « hectares et des hectares », se désole Julie Losseau, chargée du projet Trees for Future à la SRFB. Devant l’hécatombe, elle teste la relève : les fameux cèdres à Bonlez, mais aussi des pins des Landes dans la sablonneuse Campine (qui poussent « très bien ») et vingt-deux autres essences venues du Sud, d’ailleurs, du sec. Pierre Hermans aussi revoit les designs, panache ses parcelles avec du pin de Corse. Marc Dufrêne émet à nouveau des réserves (« Il y a une bonne idée, mais ce sera dans 150 ans qu’on saura si ces espèces sont adaptées »). Grégory Mahy aussi (« Des espèces importées d’un climat donné ne se comportent pas de la même façon »). C’est une impression, ou personne n’est jamais d’accord ?

On vise toujours tous la même chose, non ? Une Terre habitable ? Pour rappel, on a quand même un puits de carbone à construire, cf. le Pacte vert, et il doit avaler 310 millions de tonnes éq. CO2 en 2030. Three Billion Trees pourrait déjà en absorber quatre millions. Si la campagne aboutit : à ce jour, seule-ment 0,43 % de son objectif a été planté. Il reste six ans. En plus, le cerisier de Zuhal Demir est mort.
Niveau puits de carbone, il y a aussi plus efficace. Devant la restauration, l’afforestation et la reforestation (les trois dans le même sac, tout à fait), le GIEC liste deux options : la séquestration carbone dans l’agriculture, et surtout, la « réduction de la conversion des écosystèmes naturels », soit préserver en amont. Ou version Grégory Mahy : « Pour régler le problème des haies, on interdit de les couper. »

Absorber les émissions, c’est utile. Mais les réduire, c’est indispensable. Urgent. Prioritaire. On coupe le robinet, plutôt que d’éponger derrière. On n’y arrivera pas uniquement avec des châtaigniers, les copains, et c’est David Ho qui l’explique le mieux. Océanographe à l’université de Hawaï, il s’amuse à convertir les absorptions carbone (qu’on se représente mal) en unités de temps (qu’on comprend mieux). Capter X tonnes de CO2 de l’atmosphère, c’est retrouver les niveaux carbone d’il y a Y minutes, en gros. Au rythme des émissions actuelles, trois milliards d’arbres permettraient chaque année de remonter le temps d’environ seize heures et trente-trois minutes ; un million d’arbres, c’est vingt secondes. Une fois les arbres devenus adultes.

Reprenons. Si déjà on se lance dans un maratronc, peut-on au moins emporter une boussole ? Ouf, la Commission a justement publié ses recommandations, en mars dernier. Règle numéro un : « La perméabilité du sol, sa capacité de rétention hydrique, doivent être prises en compte. » Une plantation mal pensée peut assoiffer faune et flore alentour, en gros. Bon à savoir. Numéro deux : planter sur des marécages, tourbières, roseaux, doit « toujours être évité ». Facile. Trois : mixer conifères et feuillus est plus favorable à « une large variété d’espèces », comparé à du 100 % conifère, du monos-pécifique. « Mais cela va beaucoup dépendre des conditions du site. » Ah ? « Sur certains sites, les arbres poussent naturellement en forêt monospécifique. » Euh ?

Brian MacSharry, à la rescousse. Il est le responsable du groupe Biodiversité de l’Agence européenne pour l’environnement, l’organe qui gère la partie suivi et data de Three Billion Trees. Il résume efficacement l’affaire (« La biodiversité, c’est complexe »), puis donne un exemple : « Certaines prairies ont beaucoup de fleurs, et sont importantes pour les pollinisateurs. Peut-être que ce n’est pas ce qu’il y avait là, huit ans plus tôt, mais c’est très important pour la biodiversité actuelle. Et on veut planter une forêt ? Dans certains cas, la réponse est oui. Dans d’autres, c’est non. » Posé autrement, les bénéfices et les risques d’une plantation vont « largement dépendre de la méthode, du contexte du site, de la mise en œuvre et de l’échelle », dixit le GIEC.
Là est le nœud. Comment trancher ? Comment être certains que les budgets, les graines, les terres, ne seront pas gâchés dans des projets au mieux inefficaces, et au pire délétères ? Comment l’Europe peut-elle s’assurer qu’ils servent bien les objectifs du Pacte vert ? Réponse de la Commission : « La responsabilité repose principalement sur l’individu ou l’organisation ». Ce sont eux qui plantent, eux qui font remonter l’info jusqu’à Bruxelles. Il n’y aura pas de contrôle sur le terrain. La Commission rassure : « C’est pourquoi nous comptons sur la déclaration sur l’honneur. »

Brian MacSharry évoque lui aussi le document (trois pages, annexes comprises) comme garant de l’intégrité des projets. Il apportera également cette nuance. Si un projet dépend en effet du planteur, il dépend surtout des priorités environnementales identifiées en amont, en local. « C’est là que vous avez d’intéressantes conversations sur ce qui est prioritaire, sourit MacSharry sous ses lunettes. La science est claire, je pense. Ensuite, ça devient politique. » Et il le répètera plusieurs fois : « There will be conflict. »

Notes de bas de page

Cette enquête a bénéficié du soutien du Fonds pour le journalisme.

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