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Michèle Lempereur, belle amie

Du marché public pour la construction d’un nouvel incinérateur à Herstal aux Éditions de l’Avenir rachetées par Nethys en 2014, en passant par le chancre liégeois de Bavière, le nom de la très influente et très discrète Michèle Lempereur se retrouve vite en bas de bien des contrats de la région liégeoise. Veuve de Guy Mathot, en couple depuis dix ans avec Willy Demeyer, les activités de cette VRP de luxe en échappent d’autant moins aux polémiques. Alors, simple lobbyiste indépendante au carnet d’adresses fourni ou liaison véritablement dangereuse ?

La chan­son qui, à l’automne 1999, ouvre le bal du bourg­mestre de Seraing est taillée sur mesure pour le socia­liste Guy Mathot et celle qui se balance à son bras au milieu de cen­taines d’invités. Interprétée par Frank Sinatra, My Way met en rimes les pen­sées d’un quin­qua­gé­naire qui se satis­fait d’une vie pleine et entière, avec son flot de doutes et de regrets. Une vie « vécue à ma façon ».

Accrochée à celui qui fut ministre régio­nal et fédé­ral, vice-Premier aux côtés de Wilfried Martens puis de Mark Eyskens, séna­teur, dépu­té et bourg­mestre, incul­pé puis absous, sa seconde épouse : Michèle Camille Anny Lempereur, née le 16 avril 1961 à Ougrée. Ces images, cap­tu­rées par l’équipe de Strip-Tease, sont vrai­sem­bla­ble­ment les pre­mières de Michèle Lempereur et Guy Mathot.

La reine du bal est née sous le signe du bélier. Une figure astro­lo­gique qui lui colle à la peau : « C’est un rou­leau com­pres­seur », assure l’homme d’affaires André Van Hecke, ancien admi­nis­tra­teur délé­gué du Cercle de Wallonie, où Michèle fait par­tie du Comité exé­cu­tif. Chez elle, pas le temps et encore moins le tem­pé­ra­ment pour regar­der la vie se dérou­ler sur grand écran. Non, l’argent, le pou­voir, les jour­nées pal­pi­tantes, elle refuse d’y goû­ter par pro­cu­ra­tion. Et tant pis si ça agace.

Michèle Lempereur aime les hommes de pou­voir. Des bras du bourg­mestre de la Cité du fer, en 1996, à ceux du mayeur de la Cité ardente, en 2007, elle est en réa­li­té pas­sée d’un pré­sident de la Fédération lié­geoise du PS à un autre. Insaisissable femme d’affaires, influente mais tou­jours dis­crète, avan­çant à tâtons sur la déli­cate crête entre busi­ness et poli­tique, l’actuelle com­pagne de Willy Demeyer (PS) ne se laisse pas cer­ner faci­le­ment. Deux ten­ta­tives anté­rieures de bros­ser son por­trait pour Wilfried ont échoué. Confrontés à des pres­sions plus ou moins sub­tiles, les jour­na­listes ont jeté l’éponge, crai­gnant pour la péren­ni­té de cer­taines de leurs col­la­bo­ra­tions. Mais Wilfried est aus­si tenace qu’elle est farouche.

Michèle Lempereur a gran­di à Neuville-en-Condroz, dans une modeste mai­son qu’occupe tou­jours sa mère, 92 ans aujourd’hui. « Elle était femme de ménage – on dirait aujourd’hui tech­ni­cienne de sur­face », se sou­vient-elle. Une maman « excep­tion­nelle », confirme une amie. Une femme qui a bu sa pre­mière coupe de cham­pagne à 65 ans, effec­tué son pre­mier saut en para­chute à 89 ans. Le père, employé chez Cockerill-Sambre, est décé­dé au mitan de la soixan­taine. Il lui a lais­sé en héri­tage, dit-elle, le « sens du social ». Un avant-goût de la poli­tique aus­si. « Il était secré­taire du CPAS à Neuville-en Condroz. Je l’accompagnais dans les rues du vil­lage pour dis­tri­buer des cou­pons que les moins chan­ceux pou­vaient échan­ger contre des colis ali­men­taires. Le soir, il y avait des réunions poli­tiques à la mai­son. Puis, je ne me suis plus inté­res­sée à la chose poli­tique jusqu’à mes 35 ans, lorsque j’ai ren­con­tré Guy. Après son décès en 2005, on m’a pro­po­sé une place sur la liste PS à Neupré. J’ai réflé­chi. J’ai refusé. »

Après ses classes pri­maires à Seraing, elle rejoint l’athénée de Spa. « Parce que j’étais rebelle, se sou­vient-elle, je vou­lais m’éloigner de la mai­son. » Ensuite, ce sera l’école d’infirmerie du Barbou, à Liège, où elle ne res­te­ra que quelques semaines : à l’âge de 19 ans, elle tombe sous le charme de Michaël, de 13 ans son aîné, qu’elle décrit comme « brillant », « culti­vé » et « cha­ris­ma­tique ». « Il était en ins­tance de divorce avec trois enfants, autant dire que ça n’a pas fait plai­sir à mes parents. D’autant que je suis tom­bée enceinte, que j’ai arrê­té mes études et quit­té la mai­son fami­liale. » Sur cette longue rela­tion de 14 ans, elle ne s’épanche pas. Elle la qua­li­fie de « toxique ». Seule trace offi­cielle de ce pas­sé : le nom de Lempereur appa­raît au Moniteur, en avril 1983, comme fon­da­trice – elle inves­tit 1 000 francs belges (25 euros) – et admi­nis­tra­trice d’une car­ros­se­rie séré­sienne fon­dée par le beau-père de son com­pa­gnon, qui fera faillite quatre ans plus tard. Elle a 22 ans et agit comme prête-nom pour son tur­bu­lent bien-aimé. De ce pas­sé enfoui, elle se réjouit sur­tout, et seule­ment, de la nais­sance de son pre­mier enfant, Pierre-Alain. Il vient de fêter ses 37 ans et tra­vaille dans la menui­se­rie d’un vieil ami de Guy Mathot.

Il y aura aus­si, bien plus tard, une fille, Julie. Mais dont les racines plongent au milieu des années 1980, lorsque sa future mère se pré­sente, aux côtés de dizaines d’autres pos­tu­lants, à un entre­tien d’embauche pour les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques Labaz-Sanofi. Une de ces bifur­ca­tions qui jalonnent l’existence et qui, en cati­mi­ni, en déter­minent bien d’autres. « C’est à ce moment que je suis deve­nue délé­guée médi­cale. » Elle visite alors les hôpi­taux avec sa Renault 4L bleu marine d’occase jusqu’à ses 37 ans. « Déléguée, c’est un métier exi­geant, mais c’est une excel­lente école de vente qui lui a bien ser­vi par la suite », glisse André Van Hecke. Ce cha­pitre appa­raît comme un tour­nant déci­sif. Sans cette longue expé­rience de com­mis voya­geur, Michèle Lempereur n’aurait pas ren­con­tré Guy Mathot, n’aurait jamais tan­gué avec lui sur des airs de Sinatra, Julie ne serait pas née en 1996, et aucun jour­na­liste n’aurait son­gé à dres­ser le por­trait de Michèle Lempereur-Mathot-Demeyer.

« Quand on m’aime, on me prend, moi, à plein temps, avec ma famille, mes chiens. Guy a accep­té, mais à la condi­tion qu’on se marie. Il ne vou­lait pas qu’on dise de moi que j’étais la “poule à Mathot”. »

En 1994, Guy Mathot a été, comme Guy Coëme et Guy Spitaels, poli­ti­que­ment déca­pi­té par les pales d’un héli­co­ptère Agusta : mis au jour par la cel­lule poli­cière qui enquê­tait sur l’assassinat d’André Cools, ce dos­sier boueux entraîne notam­ment la démis­sion bru­tale des « trois Guy ». La jus­tice met­tra fina­le­ment Guy Mathot hors de cause, au contraire des deux autres. À l’époque, cepen­dant, incul­pé de cor­rup­tion pas­sive et pri­vé de la plu­part de ses man­dats, celui qui reste mal­gré tout le pre­mier homme de Seraing n’est pas au mieux de sa forme. « Fin 95 ou début 96, je ne sais plus, j’étais allée chez Cha-Cha, un res­tau­rant d’Ivoz-Ramet, afin d’y orga­ni­ser un sou­per avec des amis méde­cins, se sou­vient celle qui devien­dra la seconde “Madame Mathot”. Le patron m’a pré­sen­tée à Guy, qui était alors pré­sident de l’hôpital du Bois de l’Abbaye. Il était brillant, et j’aime les hommes brillants. » Très vite, elle est enceinte. Elle a 35 ans, lui 55. Le 1er juin 1996, c’est le mariage. Chez Cha-Cha, en bord de Meuse lié­geoise, où tout avait com­men­cé quelques mois plus tôt. Puis en comi­té res­treint au Chêne Madame, repaire gas­tro sur les hau­teurs de Seraing. « Je suis arri­vée à un moment de sa vie où Guy était meur­tri et son­geait à aban­don­ner la poli­tique. Il était marié mais sor­tait avec Mamine Pirotte [figure emblé­ma­tique de la RTBF, décé­dée en février 2017, ndlr]. Je ne vou­lais pas être une bri­seuse de ménage. Quand on m’aime, on me prend, moi, à plein temps, avec ma famille, mes chiens. Il a accep­té, mais à la condi­tion qu’on se marie. Il ne vou­lait pas qu’on dise de moi que j’étais la “poule à Mathot”. »

En sep­tembre 1996, c’est la nais­sance de Julie. Puis débu­te­ra une nou­velle car­rière. Avec son mari et d’autres, elle fonde Eurociel S.A., en avril 1999, et dirige ce qui s’appelle alors Radio Ciel, devien­dra Ciel FM, Twizz puis DH Radio. C’est aus­si le début d’une longue ami­tié avec François le Hodey, à la tête du groupe de médias IPM (La Libre BelgiqueLa Dernière Heure), qui devient action­naire majo­ri­taire de Ciel FM à la fin 2004. Michèle Lempereur est aujourd’hui encore com­mer­ciale pour le groupe IPM et orga­nise notam­ment des confé­rences pour les lec­teurs de La Libre.

Commerciale ? Lobbyiste ? Facilitatrice ? Consultante ? Du mar­ché public pour la construc­tion d’un nou­vel inci­né­ra­teur à Herstal, aux Éditions de l’Avenir rache­tées par Nethys en 2014, en pas­sant par le chancre lié­geois de Bavière, le nom de Michèle Lempereur se retrouve très vite en bas de bien des contrats. Et au cœur de quelques polé­miques. « Mon métier, se décrit-elle, ce sont les rela­tions publiques. Je suis douée pour ça. J’ai un excellent sens des rela­tions, de la diplo­ma­tie, un esprit de syn­thèse, de l’originalité. » Elle se qua­li­fie de « sla­sheuse », qui défi­nit, conti­nue-t-elle en par­cou­rant ses notes, « une per­sonne qui jongle avec plu­sieurs acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles par choix, qui cumule plu­sieurs métiers ».

« À l’époque de Guy Mathot, elle était bien pro­té­gée, bien dans sa peau, elle ne man­quait de rien, par­tait en voyage, se dis­trayait dans leur mai­son de Saint-Raphaël, raconte André Van Hecke. Une fois que Guy est décé­dé, comme elle vou­lait gar­der un cer­tain confort, conti­nuer à s’offrir de jolis vête­ments, il a fal­lu qu’elle réagisse. Sa moti­va­tion, c’est son indé­pen­dance finan­cière. » Guy et son car­net d’adresses lui ont prê­té main-forte. L’ancien bourg­mestre de Seraing, admet-elle, lui a beau­coup appris : « Je l’accompagnais très sou­vent, ça m’a per­mis de ren­con­trer énor­mé­ment de monde. C’était un amour fusion­nel, il veillait sur moi, je veillais sur lui. »

Est-ce avec la bien­veillance de son mari, qui a alors été blan­chi par la jus­tice et a retrou­vé tout son pou­voir en région lié­geoise, qu’elle s’immisce en 2004 dans le mar­ché qu’a lan­cé l’intercommunale Intradel pour la construc­tion d’un inci­né­ra­teur à 200 mil­lions d’euros ? C’est, dit-elle, l’entrepreneur lié­geois Georges Moury, dont le beau-frère tra­vaille à la CNIM (Constructions navales et indus­trielles de la Méditerranée), qui l’aurait mise en contact avec ce sou­mis­sion­naire. « Ma mis­sion était de don­ner des conseils stra­té­giques à la CNIM, qui convoi­tait le mar­ché. » En sep­tembre 2004, une conven­tion de cinq pages – dont Wilfried s’est pro­cu­ré une copie – est nouée entre la CNIM et Wallonie Promotion et Communication, une des socié­tés de Michèle Lempereur. Parallèlement, la CNIM embauche Guy Coëme. Des mis­sions à quelques mil­liers d’euros, mais qui tournent court : l’offre du concur­rent Inova l’emporte.

À la même époque, Alain Mathot, son beau-fils, qui siège au par­le­ment fédé­ral, aurait pro­po­sé ses ser­vices de lob­byiste au direc­teur d’Inova France, Philippe Leroy, contre deux mil­lions d’euros. Inculpé de cor­rup­tion, Alain Mathot dément et accuse Leroy de dif­fa­ma­tion. Michèle Lempereur pro­met qu’elle n’a jamais eu vent des éven­tuelles rela­tions entre son beau-fils et Inova, le concur­rent de son propre client, la CNIM : « J’ai tout décou­vert dans la presse, des années plus tard », jure-t-elle. Quoi qu’il en soit, sa mis­sion pour la CNIM aura été ren­due plus com­pli­quée encore par l’état de san­té de son mari : « Dans les faits, ma mis­sion n’avait même pas débu­té car, fin 2004, je vivais une situa­tion per­son­nelle dif­fi­cile », expli­que­ra-t-elle, six ans plus tard, aux enquê­teurs qui tentent de retra­cer l’historique du mar­ché de l’incinérateur. Guy Mathot souffre déjà d’une insuf­fi­sance rénale grave. Il est en attente d’une greffe. Puis, à l’automne 2004, les méde­cins lui découvrent un can­cer du côlon. Virulent. Le 21 février 2005, en début d’après-midi, Guy Mathot s’éteint à l’hôpital de la Citadelle, à Liège. Michèle Lempereur a 43 ans.

C’est au notaire Paul-Arthur Coëme qu’il revient de par­ta­ger les biens du défunt entre ses deux enfants Alain et Julie, et sa veuve Michèle. Cette der­nière conti­nue­ra à habi­ter la mai­son fami­liale de la rue Curie, à Seraing, qui ne figure pas dans la suc­ces­sion. L’essentiel de celle-ci est consti­tué du pro­duit de la vente de la vil­la de Saint-Raphaël, cédée par Guy Mathot, quatre jours avant de tré­pas­ser, pour 500 000 euros à un ami – celui-là même qui a embau­ché le fils aîné de Michèle Lempereur dans sa menui­se­rie. S’y ajoutent quelques dizaines de mil­liers d’euros répar­tis sur neuf comptes ban­caires, un maigre mobi­lier, 25 euros d’argent liquide. Une fois les dettes du défunt épon­gées, Michèle Lempereur héri­te­ra de 90 000 euros, Julie 103 000 et Alain 105 000. Pas de quoi mener une vie de rentier.

Après un court inté­rim assu­mé par le fidèle Jacques Vandebosch, Alain Mathot – qui est dépu­té fédé­ral depuis 2003 – devient bourg­mestre de Seraing en 2006, mar­chant de plus en plus sur les traces du pater­nel. Michèle reprend son éman­ci­pa­tion, qui rime tou­jours avec public rela­tions. « Plutôt que fémi­niste, je suis éga­li­ta­riste et pro­gres­siste, dit-elle. Je ne veux pas dépendre d’un homme, que ce soit finan­ciè­re­ment ou mora­le­ment. Les femmes doivent se res­pec­ter et se faire res­pec­ter. » Sans élu­der cette réa­li­té mal­heu­reuse : il est sou­vent plus dif­fi­cile pour les femmes de décro­cher la lune sans un homme pour les aider à se pla­cer en orbite. C’est entre autres parce que Guy Mathot lui a fait la courte-échelle qu’elle a pris la tête de Radio Ciel puis s’est lan­cée comme consul­tante de choc en région lié­geoise et au-delà.

À la fin de l’année 2007, elle se rap­proche de Willy Demeyer. « Willy, je le connais­sais depuis long­temps. Après le décès de Guy, il pre­nait régu­liè­re­ment de mes nou­velles. Ça me tou­chait. Quand j’ai appris que son épouse l’avait quit­té, je me suis aus­si inquié­tée pour lui. C’est un homme ras­su­rant, res­pec­tueux. » Évoquant celle qui par­tage sa vie, mais pas son toit, le bourg­mestre lié­geois dresse le por­trait d’une « femme gen­tille, qui est une bonne per­sonne, qui aime sin­cè­re­ment les gens et connaît les contraintes qu’il y a à vivre avec un homme poli­tique ». Le couple vient de fran­chir le cap sym­bo­lique des dix ans. Mais ne l’a pas fêté.

Willy habite Jupille. Michèle vit à Seraing. Les choses auraient pu tour­ner autre­ment : en 2012, Michèle Lempereur s’entiche d’un immeuble tout en ron­deurs situé près du pont de Fragnée, à Liège, là où l’Ourthe se jette élé­gam­ment dans la Meuse. Les deux appar­te­ments du der­nier étage, offrant l’une des plus belles vues sur la Cité ardente, sont en vente. Ironie : ils sont voi­sins de l’appartement qu’occupait alors Mamine Pirotte, ancienne amie de Guy Mathot. Michèle Lempereur les achète tous les deux : l’un en son nom, l’autre pour le compte de sa socié­té Konecto – 352 000 euros de « Terrains et construc­tions » sur­gissent dans le bilan 2012 de la socié­té ano­nyme. Elle les trans­forme pour en faire un confor­table loft de trois cents mètres car­rés et en confie l’aménagement à un déco­ra­teur lié­geois. Mais Willy rechigne à y emmé­na­ger. « Je ne m’y suis fina­le­ment domi­ci­liée que quelques mois. Cela m’a per­mis de voter pour Willy aux com­mu­nales d’octobre 2012. Puis, à la demande de ma fille Julie, nous sommes retour­nées vivre dans la mai­son de Seraing. »

Leurs patri­moines, insistent-ils l’un et l’autre, sont dis­tincts. Le répé­ter n’a rien d’une coquet­te­rie. Business et poli­tique font rare­ment bon ménage. Et ce ménage-là, jus­te­ment, n’échappe pas tou­jours à la sus­pi­cion. Le dos­sier Bavière, du nom de cet hôpi­tal lié­geois qui fut démo­li à la fin des années 1980, est symp­to­ma­tique de ce malaise. L’enjeu : la recon­ver­sion d’une friche de neuf mille mètres car­rés sur la rive droite de la Meuse, autour de laquelle des pro­mo­teurs ont vai­ne­ment bataillé plus de trente ans. En 2011, la socié­té Himmos cherche à se débar­ras­ser de cette encom­brante par­celle et se tourne vers l’ancien ministre fédé­ral socia­liste Didier Donfut, qui s’allie à Michèle Lempereur. « Ma mis­sion de conseil stra­té­gique a fait l’objet d’un contrat en juin de la même année, explique-t-elle. Il visait à iden­ti­fier, convaincre et connec­ter les meilleurs par­te­naires poten­tiels. Je trou­vais hon­teux de lais­ser le ter­rain dans cet état-là, et je le leur ai dit. »

Elle par­ta­ge­ra équi­ta­ble­ment son suc­cess fee de 400 000 euros avec Didier Donfut, qui a pris en charge les aspects urba­nis­tiques et envi­ron­ne­men­taux du dos­sier. Une rému­né­ra­tion qui aurait cou­vert « plus d’une année de tra­vail » et per­mis de ras­sem­bler autour de la table les actuels pro­prié­taires du site : le pro­mo­teur Yves Bacquelaine (frère du ministre MR des Pensions), les socié­tés de construc­tion BAM, BPI et Thomas & Piron, ain­si que le fonds de pen­sion Ogeo Fund, qui gère notam­ment les retraites de Publifin. La Province de Liège s’est déjà enga­gée à y démé­na­ger sa biblio­thèque cen­trale et la Ville y fera notam­ment construire un nou­veau commissariat.

Elle ne voit pas malice à avoir été com­mis­sion­née sur la vente d’un ter­rain qu’occupera par­tiel­le­ment la Ville de Liège, diri­gée par son com­pa­gnon. « Willy et moi sommes très pru­dents, je n’ai pas envie de salir son image. Notre rela­tion est plus un han­di­cap qu’un avan­tage. Je n’ai pas autant de liber­té pour choi­sir mes clients que si j’étais avec un den­tiste. » Un témoin rap­porte néan­moins l’avoir vue, bien après l’achèvement sup­po­sé de sa mis­sion, assis­ter à des réunions de pré­sen­ta­tion et de coor­di­na­tion du pro­jet Bavière. La pre­mière en juin 2014, au musée du Grand Curtius. La seconde au début de l’année 2015, lors d’une réunion tech­nique rue Sainte-Marie chez Assar, le bureau d’architecture qui pilote le pro­jet. « On ne savait pas ce qu’elle fai­sait là, qui elle repré­sen­tait, à qui elle rap­por­tait ce qu’elle enten­dait… Des fonc­tion­naires de la Ville s’en sont plaints auprès des éche­vins res­pon­sables. On ne l’a plus jamais revue depuis. » Un témoi­gnage que réfute la prin­ci­pale inté­res­sée : « Je ne me suis plus occu­pée du pro­jet après 2012, ma mis­sion était ter­mi­née », jure-t-elle.

« Plutôt que fémi­niste, je suis éga­li­ta­riste. Je ne veux pas dépendre d’un homme, que ce soit finan­ciè­re­ment ou mora­le­ment. Les femmes doivent se res­pec­ter et se faire respecter. »

Points d’interrogation et de sus­pen­sion ont long­temps aus­si entou­ré son siège d’administratrice à Liège Airport, contrô­lé par Nethys : bien que ne déte­nant aucun man­dat poli­tique, elle y fut dési­gnée en mai 2008 par le gou­ver­ne­ment wal­lon. En décembre 2014, le conseil d’administration de l’aéroport, dont elle fait donc par­tie, décide de construire un hôtel pour che­vaux à 2,6 mil­lions d’euros en bor­dure des pistes. À cette époque déjà, plus de 3 000 pur-sang tran­sitent par Bierset chaque année. Des mon­tures aux­quelles il faut offrir un héber­ge­ment à la mesure des ambi­tions de ceux qui vont les mon­ter. Or, Michèle Lempereur a jus­te­ment, en juin 2014, rebap­ti­sé sa socié­té Wallonie Promotion et Communication en « Equidream », socié­té ano­nyme dont l’objet social inclut désor­mais la vente, le dres­sage, l’élevage de chevaux.

« Equidream, c’est la socié­té qui détient le che­val que monte ma fille Julie, pas­sion­née d’équitation. Nous sommes d’ailleurs en train de déve­lop­per une gamme de com­plé­ments ali­men­taires pour che­vaux, qui sera ven­due sous le nom de Xantus. Je n’ai pas appro­ché ce dos­sier d’hôtel pour che­vaux, mon man­dat à l’aéroport ne me rap­por­tait que quelques cen­taines d’euros par an. J’étais là parce que le déve­lop­pe­ment de la région lié­geoise m’intéresse. » « Elle n’a pas par­ti­ci­pé au mon­tage de ce pro­jet ni à sa ges­tion », confirme le direc­teur de l’aéroport, Luc Partoune. En février 2017, Michèle Lempereur aban­don­ne­ra subi­te­ment son man­dat. « Afin d’éviter tout amal­game avec ma vie pri­vée et parce que je venais d’accepter une mis­sion pour Nethys, qui est action­naire de Liège Airport », dit-elle. « Le scan­dale Publifin avait écla­té quelques semaines plus tôt. Nous en avons dis­cu­té, j’étais d’accord avec son choix », embraye Willy Demeyer.

Le car­net d’adresses de la veuve de Guy Mathot s’étend bien au-delà du péri­mètre de la pro­vince de Liège. Son mari, après tout, fut plu­sieurs fois ministre fédé­ral. Cela crée des liens qui trans­cendent les fron­tières pro­vin­ciales et lin­guis­tiques. Ainsi, début 2011, Michèle Lempereur est aper­çue à une réunion sous forme de repas au Senza Nome, un res­tau­rant ita­lien étoi­lé alors situé rue Royale Sainte-Marie, à Bruxelles, juste à côté des Halles de Schaerbeek. À table, des repré­sen­tants du monde immo­bi­lier, de la police fédé­rale et plu­sieurs inter­mé­diaires poli­tiques. Le sujet du jour ? Le démé­na­ge­ment de la police fédé­rale vers l’ex-Cité admi­nis­tra­tive de Bruxelles, qui appar­tient alors à un consor­tium bel­go-néer­lan­dais – Immobel (40 %) et Breevast (60 %). Étonnamment, la déci­sion, pas banale, de regrou­per la police fédé­rale à cet endroit a été prise en décembre 2010, alors que le gou­ver­ne­ment était en affaires courantes.

Outre Michèle Lempereur, se trou­vaient au Senza Nome plu­sieurs per­son­na­li­tés dont l’intrigant Luc Joris (homme du PS déchu, alors proche d’Elio Di Rupo), Koen Blijweert (lob­byiste et homme d’affaires fla­mand dans l’orbite de la N‑VA), Jean-Claude Fontinoy (fidèle bras droit du MR Didier Reynders), Jean-Louis Mazy (Immobel et chef de cabi­net adjoint de Guy Coëme lors de l’affaire Agusta) et Glenn Audenaert (direc­teur de la police judi­ciaire fédé­rale de Bruxelles). Michèle Lempereur nous a confir­mé les connaître tous, ce qui donne une idée de l’ampleur de son réseau. Mais elle dit ne pas être inter­ve­nue dans ce dos­sier. Que fai­sait-elle, dès lors, autour de la table ? Elle ne s’en sou­vient pas.

Une chose est sûre : elle n’était pas en terre incon­nue. Koen Blijweert, 61 ans, est le par­rain laïc qu’elle a choi­si pour sa fille Julie Mathot. Un par­rain géné­reux. À la fin 2014, le richis­sime busi­ness­man de Knokke offre à sa filleule une Mercedes Classe GLA flam­bant neuve pour ses 18 ans. Un petit bolide dont le modèle d’entrée de gamme coûte quelque 30 000 euros. « J’ai eu de la chance, je ne m’en cache pas », répond Julie. « Ça ne m’a pas fait plai­sir, je la voyais plu­tôt avec une petite voi­ture d’occasion », réagit sa mère. En mars 2017, soup­çon­né d’avoir cor­rom­pu Glenn Audenaert, Koen Blijweert est incar­cé­ré une dizaine de jours. Lobbyiste de haut vol, il est sur­tout connu pour avoir par­ti­ci­pé à la fin du mois d’août 2010 au fameux déjeu­ner chez Bruneau, à Ganshoren, où il avait réuni confi­den­tiel­le­ment des délé­ga­tions de la N‑VA (Bart De Wever, Siegfried Bracke) et du MR (Didier Reynders, Louis Michel, Jean-Claude Fontinoy), alors que la N‑VA négo­ciait avec Elio Di Rupo en vue de for­mer un gou­ver­ne­ment fédé­ral. C’est ce jour-là que furent semés les germes de la col­la­bo­ra­tion entre les deux par­tis qui débou­che­ra, en 2014, sur la mise en place du gou­ver­ne­ment Michel.

En bords de Meuse, Michèle Lempereur avait déjà croi­sé Luc Joris et Jean-Claude Fontinoy au conseil d’administration d’Eurogare, filiale lié­geoise de la SNCB dont elle fut admi­nis­tra­trice de 2005 à 2010. À Liège tou­jours, elle est très proche de Nethys, filiale opé­ra­tion­nelle de l’intercommunale Publifin. Administratrice depuis 2005 de BeTV, filiale de Nethys, elle est éga­le­ment consul­tante depuis 2016 pour les Éditions de l’Avenir, autre filiale du groupe lié­geois. Lorsqu’elle se retrou­vait au CA de Liège Airport, contrô­lé par Nethys, repré­sen­tait-elle vrai­ment les inté­rêts du gou­ver­ne­ment wal­lon, sur le quo­ta duquel elle sié­geait, ou ceux du groupe contrô­lé par Stéphane Moreau ? La mis­sion de Michèle Lempereur aux Éditions de l’Avenir est simple : « J’y suis com­mer­ciale », pré­cise-t-elle. Selon les infor­ma­tions recou­pées par Wilfried, ce nou­vel état de ser­vice a débu­té en juillet 2016 pour une rému­né­ra­tion brute – au nom de Konecto, une socié­té créée avec son fils – de 6 000 euros par mois. Son prin­ci­pal fait d’armes, en vingt mois de ser­vice, à côté de réunions orga­ni­sées dans des écoles pour les inci­ter à s’abonner au Journal des Enfants (JDE), a été de vendre un publi-rédac­tion­nel au cabi­net du ministre Marcourt dif­fu­sé dans ce même JDE. En consé­quence, son émo­lu­ment for­fai­taire a été sen­si­ble­ment revu à la baisse dès le prin­temps 2017…

« Je n’ai pas d’influence sur la poli­tique de Willy Demeyer, il vit sa vie et je fais mes trucs. C’est une rela­tion mature… »

Est-ce aus­si avec sa carte de visite Konecto – ou d’une de ses autres socié­tés, Scando ou Equidream – qu’elle accom­pa­gnait, l’an pas­sé, une délé­ga­tion du pro­mo­teur immo­bi­lier fla­mand Groep Vanhee en visite à Liège ? Un témoin résume la scène : « Ce pro­mo­teur sou­hai­tait construire un maga­sin Lidl sur un ter­rain à vendre en bor­dure du bou­le­vard Poincaré. Son rôle à elle était de les épau­ler dans l’obtention des per­mis et auto­ri­sa­tions. Ils n’ont pas eu le per­mis, mais auraient réin­tro­duit une deuxième demande. La per­sonne qui bloque le pro­jet au sein de l’administration pour­rait par­tir pro­chai­ne­ment vers d’autres fonc­tions. » Michèle Lempereur déroule une autre ver­sion : « Ce groupe fla­mand est effec­ti­ve­ment venu vers moi et m’a par­lé de son pro­jet. Je suis allée voir sur place, mais je leur ai répon­du que je ne pou­vais rien faire. Comment vou­lez-vous que j’influence la déli­vrance de per­mis ? » Puis, reve­nant sur sa liai­son avec le bourg­mestre : « Je n’ai pas d’influence sur la poli­tique de Willy Demeyer, il vit sa vie et je fais mes trucs. C’est une rela­tion mature… »

De ses nom­breux clients, Michèle Lempereur ne sou­haite pas par­ler, « par sou­ci de confi­den­tia­li­té ». En revanche, elle dément avoir été rému­né­rée par les orga­ni­sa­teurs du Jumping de Liège, auquel par­ti­cipe sa fille Julie : « Cette com­pé­ti­tion était com­pro­mise, il man­quait 50 000 euros envi­ron pour l’organiser en 2014. Je les ai aidés béné­vo­le­ment en fai­sant jouer mon réseau : j’ai pu ame­ner des entre­prises pour occu­per les tables VIP, la Loterie natio­nale est inter­ve­nue comme spon­sor, etc. »

Cette légi­time dis­cré­tion qu’elle doit aux clients empêche de faire l’inventaire de ses pres­ta­tions ces der­nières années. C’est là le cœur du mys­tère Lempereur : la confi­den­tia­li­té de ses affaires conju­guée au manque de trans­pa­rence des pou­voirs publics. Wilfried a tou­te­fois appris qu’elle est éga­le­ment inter­ve­nue comme com­mer­ciale pour les ascen­seurs Kone (12 000 euros en 2014), pour TPF Utilities, pour Siemens…

My way, chan­tait Frank Sinatra.

« Une vie vécue à ma façon », fre­donne Michèle Lempereur.