Tout cet argent finit quand même dans le vestiaire des garçons

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Du 18 au 22 octobre, la Semaine de l'info constructive, organisée par l'asbl NEW6s, valorise un journalisme qui propose une vision nuancée de la société, qui aborde à la fois les perspectives et les solutions, qui porte une attention particulière aux mots et aux illustrations utilisés dans le traitement de l'information. Une démarche que soutient naturellement Wilfried. Dans le cadre de la Semaine de l'info constructive, nous mettons en ligne gratuitement une enquête approfondie parue dans notre n° 16. En recourant au "gender budgeting", nos journalistes ont finement analysé les inégalités de traitement entre sport féminin et masculin - et les moyens possibles pour y remédier.

Les pouvoirs publics en Belgique dégagent chaque année plusieurs millions d’euros pour développer la pratique du sport, notamment féminin. Des efforts qui continuent pourtant de bénéficier largement aux hommes.

 

Le regard concen­tré. Les traits déten­dus mal­gré l’enjeu. Ce soir de juillet 2016, Nafissatou Thiam est à 800 mètres d’un sacre olym­pique. Dans les gra­dins, Vincent Langendries tient la Belgique en haleine. Alors que la Namuroise sort de la der­nière courbe, le com­men­ta­teur de la RTBF décompte. Avant d’exulter : « Elle est médaillée d’or. Incroyable ! C’est la joie de ma vie, la joie de ma vie ! »

Une soi­rée en or, gra­vée à jamais dans la mémoire des télé­spec­ta­teurs. À Rio, « Nafi » entre dans le cercle de plus en plus grand des spor­tives qui ont conquis un large public. La Belgique, un eldo­ra­do pour le sport fémi­nin ? Pas si vite. Tant au niveau pro­fes­sion­nel qu’au niveau ama­teur, « le sport fait par­tie des acti­vi­tés de loi­sirs où les sté­réo­types de genre sont les plus pré­sents », rap­pelle l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes dans un rap­port datant de 2020. Les poli­tiques se suc­cèdent. L’ambition de cor­ri­ger les dés­équi­libres tra­verse les légis­la­tures. Mais les inéga­li­tés demeurent.

Peut-être parce que le sport reste pen­sé par les hommes, pour les hommes. En Belgique, les femmes ne repré­sentent que 30 % des affi­liés aux clubs recon­nus. Elles sont à la tête de seule­ment 7 % des fédé­ra­tions olym­piques. Il a fal­lu attendre 2019 et la libé­rale Valérie Glatigny pour voir une femme à la tête de la poli­tique spor­tive fran­co­phone, après trois décen­nies gou­ver­nées par sept ministres mas­cu­lins (Grafé, Tomas, Collignon, Eerdekens, Daerden, Antoine, Collin). Le bud­get annuel de 58 mil­lions d’euros dont Valérie Glatigny a la charge ne repré­sente qu’une par­tie de l’argent public attri­bué au sport en Belgique. Le fédé­ral, les régions et com­munes se par­tagent la dis­tri­bu­tion de sub­sides, la construc­tion, l’entretien des infra­struc­tures et l’organisation des acti­vi­tés. Au total, plu­sieurs dizaines de mil­lions d’euros sont inves­tis chaque année. Au béné­fice de qui ? Wilfried a pas­sé ces bud­gets au crible du gen­der bud­ge­ting. Une ana­lyse, déjà uti­li­sée dans cer­taines admi­nis­tra­tions, qui vise à prendre en compte la dimen­sion de genre dans les dépenses publiques et à éva­luer l’impact poten­tiel des sommes enga­gées par les pou­voirs publics. Car si l’argent n’a pas d’odeur, il peut être genré.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, plus il y a d’hommes, plus il y a d’argent

23 jan­vier 2021. Dans un com­mu­ni­qué, Valérie Glatigny dévoile dix-sept mesures pour pro­mou­voir le sport fémi­nin. Un plan en cinq axes qui vise à « objec­ti­ver les inéga­li­tés », « encou­ra­ger la pra­tique », « assu­rer une meilleure repré­sen­ta­tion dans les ins­tances » ou encore « lut­ter contre les dis­cri­mi­na­tions et vio­lences sexistes ». En Belgique, les poli­tiques spor­tives sont écla­tées entre dif­fé­rents niveaux de pou­voir, mais c’est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui est char­gée de la pro­mo­tion du sport et de la pra­tique spor­tive fémi­nine. Chaque année, la com­mu­nau­té assure des aides pour le sport de haut niveau (15,6 mil­lions d’euros), le fonc­tion­ne­ment des fédé­ra­tions et asso­cia­tions recon­nues (9,1 mil­lions d’euros), la ges­tion des centres spor­tifs (5 mil­lions d’euros) ou encore le fonds des sports (18,6 mil­lions d’euros), incluant le coût du per­son­nel et des 3 000 contrats Adeps annuels.

Avec quelle répar­ti­tion entre spor­tifs et spor­tives ? Impossible à déter­mi­ner pré­ci­sé­ment. Les ini­tia­tives spé­ci­fiques pour le sport fémi­nin sont très som­maires. Après avoir sou­te­nu 89 dos­siers entre 2017 et 2019 (pour un total de 500 000 euros), l’appel à pro­jets « sport fémi­nin » visant l’égalité et la mixi­té dans le sport n’a pas été recon­duit en 2020. Les sub­ven­tions majo­rées pour les fédé­ra­tions qui atti­raient un nombre impor­tant de femmes ont éga­le­ment été abro­gées. Depuis jan­vier 2019, il ne reste que le pro­gramme d’action spor­tive locale. Ce pro­jet à des­ti­na­tion des fédé­ra­tions, com­munes et clubs, a défi­ni par­mi ses cinq axes prio­ri­taires, le « déve­lop­pe­ment du sport fémi­nin ». 103 dos­siers ont été finan­cés en 2019, 126 en 2020. Pour un bud­get total de 102 413 euros. Une goutte d’eau dans l’océan.

Quid du reste de l’argent ? Les aides ne sont pas gen­rées, mais béné­fi­cient mas­si­ve­ment aux hommes, bien plus nom­breux dans le milieu. Si les marches orga­ni­sées par l’Adeps attirent une majo­ri­té de femmes (65 %), si les cross sco­laires atteignent une mixi­té par­faite, ces exemples sont les deux excep­tions qui confirment la règle. Le sport de haut niveau, par exemple, reste un bas­tion mâle. Les hommes repré­sentent 64,7 % des spor­tifs sous sta­tut en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils tota­lisent 60 % des contrats. « La ven­ti­la­tion bud­gé­taire est méca­ni­que­ment plus impor­tante pour les spor­tifs mas­cu­lins, puisqu’ils sont plus nom­breux », confirme le cabi­net Glatigny qui assure que le trai­te­ment entre hommes et femmes est iden­tique. « Il est vrai que, pen­dant de longues années, les spor­tives, dans cer­taines fédé­ra­tions, étaient moins consi­dé­rées. Mais l’évolution est signi­fi­ca­tive. Aujourd’hui, à poten­tiel égal, nos spor­tives et spor­tifs béné­fi­cient de la même atten­tion. Dans les dis­ci­plines indi­vi­duelles, il y a plus de femmes qui per­forment que d’hommes. Dans les sports d’équipe, nos fédé­ra­tions s’investissent de manière équi­li­brée. Mais il va sans dire qu’une équipe qui per­forme plus — et donc qui a un pro­gramme plus char­gé — mobi­lise de fac­to plus d’investissements. »

Dans le sport ama­teur, le constat est iden­tique. En Belgique fran­co­phone, sur les 729 781 affi­liés aux fédé­ra­tions et asso­cia­tions sou­te­nues par les pou­voirs publics, les hommes repré­sentent un peu moins de 70 % des membres. Le mon­tant des aides, lui, est déter­mi­né par un nou­veau mode de cal­cul, en cours d’affinage, qui entre­ra en vigueur en 2022. Basé sur le nombre de membres, de spor­tifs de haut niveau ou de cadres à voca­tion péda­go­gique, aucune notion de genre n’entre en consi­dé­ra­tion. « Le sport fémi­nin ne reçoit pas pro­por­tion­nel­le­ment moins que le mas­cu­lin, syn­thé­tise le cabi­net Glatigny. Il est par contre exact que trop peu de femmes pra­tiquent un sport, ce qui a un effet méca­nique sur le finan­ce­ment de leurs activités. »

Les inci­tants pour conscien­ti­ser les fédé­ra­tions spor­tives à se fémi­ni­ser sont à cher­cher autre part. Pour béné­fi­cier d’une recon­nais­sance (et des sub­sides qui en découlent), les pou­voirs publics demandent que les fédé­ra­tions et asso­cia­tions comptent au sein de leur conseil d’administration au mini­mum 20 % de per­sonnes du sexe mino­ri­taire. Un chiffre bien­tôt rele­vé à 33 % par une modi­fi­ca­tion du décret sport. Celui-ci va éga­le­ment impo­ser un plan de pro­mo­tion du sport fémi­nin dans chaque fédération.

Infrastructures, horaires et espace public : les femmes en insécurité

Les aides publiques pour le sport ne s’arrêtent pas aux fédé­ra­tions et aux asso­cia­tions recon­nues. Les Régions sub­ven­tionnent lar­ge­ment les construc­tions et réno­va­tions d’infrastructures spor­tives. Ces sites sont bien plus qu’une mul­ti­tude de briques assem­blées par du ciment. Les espaces qu’ils déli­mitent ont un réel impact sur la pra­tique spor­tive de la gent fémi­nine. « J’ai com­men­cé à pra­ti­quer le foot­ball vers 6 ans, nous confie une inter­lo­cu­trice, seule fille dans une équipe de gar­çons. À 12 ans, avec la puber­té, je n’étais plus à l’aise avec les gar­çons. La solu­tion était d’aller me chan­ger dans le ves­tiaire de l’arbitre. J’avais peur qu’il ne soit pas pré­ve­nu et qu’il débarque. Je me sou­viens encore aujourd’hui de cette angoisse énorme. » Un cas loin d’être iso­lé. « Quand on jouait à domi­cile, j’avais mon ves­tiaire, explique Noama Labyad, ancienne foot­bal­leuse qui a joué avec les gar­çons jusqu’à l’adolescence. Mais, lors des matchs à l’extérieur, mon entraî­neur devait sys­té­ma­ti­que­ment deman­der un local pour moi. C’est arri­vé que je doive me chan­ger dans les toilettes. »

« La plu­part du temps, les infra­struc­tures ont été réa­li­sées par des archi­tectes mas­cu­lins. À l’époque, c’était sur­tout pen­sé pour la pra­tique du sport d’équipe, essen­tiel­le­ment mas­cu­lin, dans une logique de ves­tiaires collectifs. »

Françoise Goffinet, atta­chée à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.

« La plu­part du temps, les infra­struc­tures ont été réa­li­sées par des archi­tectes mas­cu­lins, retrace Françoise Goffinet, atta­chée à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. À l’époque, c’était sur­tout pen­sé pour la pra­tique du sport d’équipe, essen­tiel­le­ment mas­cu­lin, dans une logique de ves­tiaires col­lec­tifs. » Aujourd’hui, la donne change un peu. À Andenne, le com­plexe Arena — qui fait par­tie de la petite cen­taine de centres spor­tifs locaux en FWB — a été réno­vé il y a quelques années. Le lieu sym­bo­lise les ambi­tions spor­tives de la com­mune diri­gée par l’ancien ministre Claude Eerdekens, bourg­mestre socia­liste d’Andenne depuis des temps immé­mo­riaux. Son éche­vin des Sports, Vincent Sampaoli (PS lui aus­si), n’est pas peu fier de la réus­site d’une infra­struc­ture qui dépasse les 700 000 visi­teurs par an. 38 % des membres des clubs actifs dans le com­plexe sont des affi­liées. L’écart glo­bal reste impor­tant, mais l’égalité est presque atteinte dans plu­sieurs tranches d’âge. « On a essayé d’en faire un lieu de vie, explique Vincent Sampaoli. Il y a une mixi­té de dis­ci­plines et de ser­vices. » Ici, l’aide aux clubs inter­vient prin­ci­pa­le­ment dans l’accès pri­vi­lé­gié aux infra­struc­tures. Des réflexions sont éga­le­ment menées pour atti­rer de nou­veaux pro­fils. « Nous avons lan­cé de l’aquafitness, pré­cise encore l’échevin. On déve­loppe aus­si un cours de gym­nas­tique à des­ti­na­tion des femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher. »

Si ce type de nou­veau site est plus inclu­sif qu’autrefois, tout n’est pas par­fait. À Bruxelles-Ville, la salle de sport inau­gu­rée au début des années 2000 (1,5 mil­lion d’euros de bud­get), rue Rempart des Moines, est tota­le­ment vitrée. « On a consta­té qu’un cer­tain nombre de femmes ne vou­laient plus s’y rendre, explique Benoît Hellings (Ecolo), éche­vin des Sports. Lorsqu’elles s’entraînent le soir, un attrou­pe­ment de jeunes hommes se crée de l’autre côté de la fenêtre. C’est extrê­me­ment désa­gréable. » Un exemple qui reflète une situa­tion plus glo­bale. En 2019, les com­munes bruxel­loises ont réper­to­rié les clubs spor­tifs béné­fi­ciant d’aides régio­nales pour des tra­vaux de réno­va­tion. Sur les 577 clubs, 412 étaient mixtes, 117 mas­cu­lins et 48 fémi­nins. Des résul­tats à mettre en pers­pec­tive. « Peu de com­munes se sont don­né la peine de four­nir une répar­ti­tion sexuée des affi­liés à ces clubs de sport, mais une pre­mière ana­lyse laisse pen­ser que de nom­breux sports dits mixtes ne comptent en fait qu’une mino­ri­té de femmes et de filles », pointe un rap­port d’Equal.brussels au par­le­ment. Depuis 2019, l’appel à pro­jets pour béné­fi­cier de sub­ven­tions régio­nales com­prend une par­tie sur la ques­tion du genre, mais le che­min reste long. L’administration, man­da­tée pour mettre en œuvre la poli­tique de la secré­taire d’État Nawal Ben Hamou (PS), en charge de l’Égalité des chances, se montre très cri­tique quant à l’intérêt por­té par les com­munes sur ces ques­tions. « Le pro­blème de la plus faible par­ti­ci­pa­tion des filles et des femmes à la pra­tique spor­tive est glo­ba­le­ment recon­nu. Mais les com­munes semblent soit dému­nies pour y faire face, soit rela­ti­ve­ment indif­fé­rentes à cette réa­li­té. » Pour l’administration — et mal­gré le manque fla­grant de don­nées — « une grande majo­ri­té du bud­get régio­nal de sub­ven­tion pour des tra­vaux d’infrastructures spor­tives com­mu­nales béné­fi­cie de fait à des hommes. »

« Lorsque les femmes s’entraînent le soir, un attrou­pe­ment de jeunes hommes se crée de l’autre côté de la fenêtre. C’est extrê­me­ment désagréable. » 
Benoît Hellings, éche­vin des sports à Bruxelles-Ville

Outre l’architecture, les horaires d’accès peuvent, eux aus­si, être dis­cri­mi­nants. Un cré­neau réser­vé pour les filles à 22 heures n’est pas tou­jours sécu­ri­sant, ni inci­ta­tif. Sans oublier que, jeunes adultes, de nom­breuses femmes s’éloignent des infra­struc­tures offi­cielles. Plus mar­quées que les hommes par la charge men­tale des enfants et du ménage, elles peinent sou­vent à déga­ger du temps dans leur agen­da pour des acti­vi­tés spor­tives orga­ni­sées. Elles pré­fèrent alors une pra­tique auto­nome, hors des struc­tures. Mais l’espace public, lui non plus, n’est pas tou­jours pen­sé pour les accueillir. Tantôt un pro­blème d’éclairage, tan­tôt le sexisme ordi­naire, tan­tôt l’inadaptation des infra­struc­tures spor­tives en libre accès. Les ago­ras, par­cours Vita et espaces de street wor­kout, qui ont fleu­ri ces der­nières années, n’ont de « libre accès » que le nom. Les machines de mus­cu­la­tion ne sont pas tou­jours adap­tées aux men­su­ra­tions fémi­nines. Le tout dans des endroits qui sentent sur­tout la tes­to­sté­rone. « Les hommes fré­quentent sou­vent ces espaces en bande, sou­ligne Equal.brussels. Cela peut créer un sen­ti­ment d’insécurité et des situa­tions de har­cè­le­ment sexiste pour les femmes qui modi­fient par­fois leurs tra­jets pour évi­ter ces endroits. » Les coûts de construc­tion de ces espaces — sup­por­tés par les auto­ri­tés publiques — peuvent, eux, grim­per jusqu’à plu­sieurs cen­taines de mil­liers d’euros. « Comment faire dès lors pour que les filles s’y sentent à l’aise ?, s’interroge Thomas Eraly, éche­vin des Sports à Schaerbeek (Écolo). C’est une vraie difficulté. »

Avec plus de dix mil­lions d’euros, le foot­ball concentre 23 % des inves­tis­se­ments consen­tis par la Région wal­lonne en matière d’infrastructures depuis jan­vier 2020. Bien qu’incomplet, l’outil Cadasport (qui recense près de 3 000 ins­tal­la­tions spor­tives sur le ter­ri­toire wal­lon) confirme l’omniprésence du bal­lon rond, avec 758 sites foot­bal­lis­tiques. Si on retire le mil­lier de plaines de jeux ins­crites, c’est plus d’un tiers des infra­struc­tures qui sont vouées à ce sport. Pas illo­gique au vu du nombre de pra­ti­quants — envi­ron 25 % des affi­liés des fédé­ra­tions recon­nues. Mais des inves­tis­se­ments qui ne sont pas neutres en termes de genre : à peine 10 % des membres dans les clubs fran­co­phones sont des footballeuses.

Longtemps le bal­lon rond a été chou­chou­té par les pou­voirs publics. « Les sub­sides com­mu­naux n’ont pas tou­jours été très lisibles, confirme un éche­vin wal­lon. Le foot­ball a sou­vent eu un sta­tut d’intouchable. » Il reste, encore aujourd’hui, incon­tour­nable. Exemple à Bruxelles où, pour la sai­son 2020 – 2021, la Région a dis­tri­bué 3,5 mil­lions d’euros à 200 asso­cia­tions s’adressant aux jeunes, tous sports confon­dus. Limitée dans ses actions pour ne pas empié­ter dans les com­pé­tences de la FWB, Bruxelles sub­ven­tionne des pro­jets qui contri­buent « à l’image natio­nale et inter­na­tio­nale de la Région en ren­for­çant une iden­ti­té typi­que­ment bruxel­loise de soli­da­ri­té, d’émancipation, d’intégration et de diver­si­té ». La pré­sence média­tique, les prix et dis­tinc­tions spor­tives, l’amélioration de la cohé­sion sociale ou encore l’image pour la Région font par­tie des nom­breux cri­tères pris en compte pour l’attribution des bud­gets. Ce qui pro­voque des dis­pa­ri­tés impor­tantes entre les dis­ci­plines. En 2020, vingt clubs ont été sélec­tion­nés pour « l’impact inter­na­tio­nal et natio­nal de leurs actions sur la Région ». Mais, alors qu’un club de hockey peut pré­tendre à une aide maxi­male de 35 000 euros s’il atteint un niveau euro­péen, un club de foot­ball de troi­sième divi­sion peut être aidé jusqu’à 123 000 euros. « Le foot­ball reste de loin le sport le plus pra­ti­qué en région bruxel­loise, ce qui explique une plus grande attri­bu­tion », jus­ti­fie le cabi­net Gatz (Open VLD), ministre du Budget. Avec, dans cette même dis­ci­pline, d’importants déca­lages entre hommes et femmes. Alors qu’Anderlecht touche 264 000 euros sur la sai­son, que l’école des jeunes de l’Union Saint-Gilloise est aidée à hau­teur de 194 000 euros, le Fémina White Star, dont l’équipe pre­mière joue en divi­sion 1, n’a reçu que 65 000 euros. Pour quelles rai­sons ? « L’attention média­tique est encore trop diri­gée vers les sports mas­cu­lins. Que ce soit en termes de public ou d’images télé, d’articles… C’est un constat ! » répond le cabi­net — pré­ci­sant que plu­sieurs pro­jets sou­te­nus visent le sport fémi­nin en particulier.

Les com­munes en délicatesse

Au plus proche des citoyens, les pou­voirs locaux et les com­munes ont peut-être le plus grand rôle à jouer. « C’est le seul niveau de pou­voir qui peut arti­cu­ler les trois axes de la poli­tique spor­tive : les sub­sides, les infra­struc­tures et l’allocation de cré­neaux », détaille Benoît Hellings. Si l’immense majo­ri­té des éche­vins ren­con­trés se rejoignent sur le constat de la trop faible par­ti­ci­pa­tion des femmes dans le sport, les réponses à appor­ter divergent.

« Quand je me rends aux évé­ne­ments pro­vin­ciaux, il n’y a que des hommes autour de moi. »

Kathy Vlacke, éche­vine des Sports à Mouscron

À Mouscron, dans le centre admi­nis­tra­tif flam­bant neuf, sur­prise, l’échevin des Sports est une éche­vine. Kathy Valcke (CDH) est l’une des deux seules femmes à ce poste par­mi les vingt plus grosses villes wal­lonnes. « Quand je me rends aux évé­ne­ments pro­vin­ciaux, il n’y a que des hommes autour de moi », relate l’intéressée.

Si Kathy Valcke doit son arri­vée en poli­tique au quo­ta sur les listes élec­to­rales, elle est contre tout inci­tant spé­ci­fique pour le sport fémi­nin. Ici, comme dans une majo­ri­té de com­munes son­dées, c’est le « sport pour tous » qui est défen­du par les auto­ri­tés locales. L’accès aux infra­struc­tures et les sub­sides aux clubs sont éta­blis sur une série de cri­tères, sans consi­dé­ra­tion de genre. « Il n’y a aucune dis­cri­mi­na­tion. Je pré­fère que l’égalité homme-femme se fasse de manière natu­relle », argu­mente l’échevine. Elle pré­fère sou­li­gner les évo­lu­tions socié­tales. « On est sur le bon che­min, même s’il faut être patient. »

Mais cette poli­tique indif­fé­ren­ciée est-elle vrai­ment neutre sur le plan du genre ? Schaerbeek a ten­té de le savoir. La com­mune a été une des pre­mières à pas­ser son bud­get sport au tamis du gen­der bud­ge­ting. « Il appa­rais­sait clai­re­ment que les sub­sides allaient majo­ri­tai­re­ment vers les hommes. Pas parce que la com­mune ne vou­lait pas aider d’autres acti­vi­tés, mais parce que les clubs de sport mas­cu­lins étaient plus actifs », contex­tua­lise l’échevine Adelheid Byttebier (Groen). Face à ce constat, des poli­tiques ciblant spé­ci­fi­que­ment les ath­lètes fémi­nines ont été ins­tau­rées. Les chèques sport (per­met­tant de rem­bour­ser une par­tie des frais d’inscriptions) ont été dou­blés pour la gent fémi­nine (pas­sant de 60 à 120 euros). Depuis 2015, le nombre de spor­tives qui pro­fitent de ce coup de pouce est pas­sé de 240 à 990. Et, bien­tôt, les clubs ne pour­ront pré­tendre aux sub­sides com­mu­naux qu’à condi­tion d’avoir une sec­tion fémi­nine. Malgré quelques grin­ce­ments de dents et des cri­tiques sur le ter­rain, l’échevin des Sports Thomas Eraly assume cette « dis­cri­mi­na­tion posi­tive ». « La réa­li­té c’est qu’à Schaerbeek, une fille a par­fois plus de dif­fi­cul­té à faire du sport. »

Sans aller aus­si loin que Schaerbeek, plu­sieurs acteurs poli­tiques tentent de favo­ri­ser le sport fémi­nin : accès prio­ri­taires aux infra­struc­tures pour les équipes fémi­nines (Woluwe-Saint-Lambert), prise en consi­dé­ra­tion du nombre de filles/femmes pour la pon­dé­ra­tion des sub­sides com­mu­naux (Bruxelles-Ville), sub­sides com­mu­nau­taires pour des pro­jets pro­mou­vant le sport fémi­nin (Fédération Wallonie-Bruxelles et Cocof), jour­née spor­tive 100 % filles et acti­vi­tés pour les mères de famille (Liège), ou encore le sou­tien à cer­taines dis­ci­plines au sein des ins­tal­la­tions com­mu­nales (Bruxelles-Ville). « J’ai réser­vé une salle de la com­mune pour Jeny Bonsenge, une dan­seuse afro très connue dans nos quar­tiers, se réjouit Benoît Hellings. Son école a un suc­cès démen­tiel. C’est le résul­tat d’un choix qu’on a fait. » Malgré cette ini­tia­tive, l’échevin bruxel­lois l’admet : « On n’arrive pas à une éga­li­té par­faite entre sport mas­cu­lin et fémi­nin. » Même constat à Liège, où la fré­quen­ta­tion des infra­struc­tures spor­tives reste lar­ge­ment mas­cu­line (70 %). Toutes ces ini­tia­tives peuvent paraître molles ou déri­soires, elles ont au moins le mérite d’exister — là où la plu­part des com­munes belges n’ont même pas enta­mé un début de réflexion pour que l’argent public alloué au sport pro­fite davan­tage aux filles et aux femmes.

Alors, le chan­ge­ment vien­dra-t-il de la socié­té ou des poli­tiques ? « Le déca­lage fini­ra par s’estomper tout seul, pro­phé­tise Willy Demeyer (PS), bourg­mestre de Liège. Mais des poli­tiques publiques peuvent accé­lé­rer les choses, à condi­tion que les clubs s’engagent der­rière. » Ce qui n’est pas tou­jours facile. Tout au long de ce récit, de nom­breux inter­lo­cu­teurs ont sou­li­gné la dif­fi­cul­té d’attirer des membres fémi­nines. Avec des consé­quences en cas­cade : iso­lées, les filles qui pra­tiquent le sport aban­donnent leur dis­ci­pline ou sont frei­nées dans leur pro­gres­sion par manque d’affiliées. « Ma fille a dû arrê­ter le bas­ket à 15 ans, témoigne l’échevine schaer­bee­koise Adelheid Byttebier. Il n’y avait plus assez d’adolescentes et l’équipe n’était plus mixte. Elle aurait dû aller dans une autre com­mune pour conti­nuer son sport. » L’obstacle de trop.

Les médias et les symboles

Difficile de comp­ta­bi­li­ser le nombre de freins qui se dressent sur le par­cours des spor­tives. En 2017, après les 20 kilo­mètres de Bruxelles, place aux podiums, aux récom­penses et à une polé­mique. Alors que le vain­queur prend la pose avec son chèque de 1 000 euros, la gagnante doit se conten­ter de 300 euros. Dans le sport ama­teur, la situa­tion n’est pas meilleure. Un arbitre de bas­ket a vu sa rému­né­ra­tion réduite à l’occasion d’un match fémi­nin. Depuis, ces inci­dents ont ser­vi de leçon, et des portes s’ouvrent timi­de­ment, notam­ment celles du stade Roi Baudouin où les Red Flames (l’équipe natio­nale de foot­ball fémi­nin) pour­ront enfin jouer lors des matchs offi­ciels. « C’est un pari, admet à ce pro­pos Benoît Hellings, l’échevin des sports de la ville de Bruxelles. Je ne suis pas sûr qu’elles vont rem­plir le stade. Mais on main­tien­dra l’initiative, c’est un sym­bole très fort. »

Encore faut-il le voir. En 2019, la RTBF consa­crait 119 heures à la dif­fu­sion de sport fémi­nin. Soit 14,3 % des 832 heures de retrans­mis­sion d’événements spor­tifs sur ses antennes. En moyenne, le sport repré­sente 6 % des 382 mil­lions du bud­get annuel du ser­vice public fran­co­phone. Là aus­si, les exemples d’inégalités ne manquent pas. Si la RTBF dif­fuse de plus en plus de courses cyclistes fémi­nines, l’écart entre hommes et femmes reste abys­sal. Prenons la Flèche wal­lonne, une clas­sique cycliste dif­fu­sée par la chaîne publique le 21 avril 2021 : les 126 der­niers kilo­mètres de la course mas­cu­line sont retrans­mis durant 3 heures et 28 minutes en télé­vi­sion (41 minutes sur Tipik et 2 h 47 sur la Une) ; les femmes, elles, ne sont dif­fu­sées que durant les 40 der­niers kilo­mètres (1 h 30 sur Tipik). Même constat pour Liège-Bastogne-Liège : 2 h 56 de dif­fu­sion pour les 103 der­niers kilo­mètres des hommes (sur la Une) contre 1 h 40 et les 48 der­niers kilo­mètres des cou­reuses (sur Tipik). Les fans d’Alaphilippe et de Valverde de la course mas­cu­line ont pu vivre en direct toutes les côtes emblé­ma­tiques de la « Doyenne ». Chez les femmes, la retrans­mis­sion a démar­ré quelques minutes avant le pied de la Redoute, alors que la course était déjà bien décan­tée. Le public n’a pas pu suivre les ascen­sions de Wanne, de la Haute-levée et du Rosier, ni d’autres évè­ne­ments pas­sés hors-champ… Quant au Tour des Flandres, si la course des hommes a été dif­fu­sée en inté­gra­li­té (3 h 41 sur Tipik, 2 h 56 sur Une, soit 6 h 27 au total), l’édition fémi­nine a dû se conten­ter d’une dif­fu­sion sur Auvio, la pla­te­forme numé­rique de la RTBF.

Incité par le Conseil supé­rieur de l’audiovisuel à « garan­tir un meilleur équi­libre des genres dans sa cou­ver­ture des sports », suite à une stag­na­tion consta­tée entre 2017 et 2019, le nou­veau res­pon­sable de la rédac­tion sport veut prendre des enga­ge­ments « forts ». « En 2021, nous allons dépas­ser les 2 000 heures de live. 500 heures seront consa­crées au sport fémi­nin », annonce Benoît Delhauteur. Pour les Jeux olym­piques de Tokyo, le ser­vice public dif­fu­se­ra 50 % de sport fémi­nin sur les 900 heures de direct pré­vues. Et les télé­spec­ta­teurs répondent pré­sents. En 2019, 167 279 per­sonnes ont sui­vi la finale de la Coupe du monde fémi­nine de foot oppo­sant les Pays-Bas aux États-Unis, soit près de 19 % de part de mar­ché. Un chan­tier deve­nu prio­ri­taire pour la RTBF, qui veut faire de l’acquisition de droits pour des évé­ne­ments spor­tifs fémi­nins « un de ses nou­veaux piliers ».

Reste que le contrat de ges­tion, rédi­gé tous les trois ans pour défi­nir les mis­sions du ser­vice public, est actuel­le­ment très laco­nique sur ces ques­tions. La RTBF est sobre­ment invi­tée à cou­vrir « un éven­tail le plus large pos­sible de dis­ci­plines spor­tives » avec un point d’attention par­ti­cu­lier pour les dis­ci­plines fémi­nines. C’est tout. Pas d’objectif chiffré.

Médias publics, aides aux fédé­ra­tions, ins­tal­la­tions spor­tives dans l’espace public et ges­tion des infra­struc­tures… Au moment de tirer un bilan glo­bal, Françoise Goffinet n’hésite pas une seule seconde. L’attachée à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes juge les poli­tiques publiques favo­ri­sant le sport fémi­nin « insuf­fi­santes, voire com­plè­te­ment inexis­tantes ». Chaque année, ce sont pour­tant plu­sieurs dizaines de mil­lions de deniers publics qui sont inves­tis dans le sport. S’il est impos­sible de faire la somme totale de ces inves­tis­se­ments tant ils sont écla­tés entre les niveaux de pou­voir, une chose est claire : une large majo­ri­té de cet argent pro­fite aux hommes. Les femmes, elles, res­tent sur le bord de la route. Aviez-vous remar­qué que le « sport » ne prend un adjec­tif que lorsqu’il se conjugue au fémi­nin ? Par défaut, le sport est tou­jours mas­cu­lin. Un manque de consi­dé­ra­tion qui se marque bien au-delà du vocabulaire.

Le jour­na­lisme construc­tif, c’est quoi ? Les médias qui, comme Wilfried, en font un objec­tif essaient de tra­vailler autour de 4 axes :

  • Être orien­té pers­pec­tives et solu­tions : ne pas s’arrêter au pro­blème et au constat mais éga­le­ment recher­cher les réponses possibles.
  • Nuancer le pro­pos : pro­po­ser une vision 360 d’une pro­blé­ma­tique (The full pic­ture) et évi­ter le côté clivant.
  • Encourager le débat : contex­tua­li­ser, pro­po­ser d’autres angles pour faci­li­ter les dialogues.
  • Porter une atten­tion par­ti­cu­lière aux mots, aux tons et aux illus­tra­tions de l’info.