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Esmeralda de Belgique, princesse semi-précieuse

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Il est des contes où les princesses excellent à se soustraire à l’intrigue principale. Benjamine adorée de Léopold III et demi- sœur d’Albert II, issue d’un second lit politiquement explosif, Esmeralda de Belgique a grandi derrière les grilles d’Argenteuil avant de se muer journaliste en bord de Seine, puis épouse londonienne d’un Hondurien nobélisable. Son engagement écologiste et féministe, d’un progressisme à faire frémir Laeken, n’empêche pas un tact tout aristocratique.

Bon sang bleu ne sau­rait men­tir. À l’interphone, les into­na­tions mi-métal­liques, mi-rou­cou­lantes indiquent le qua­trième étage, ascen­seur ouvrant direc­te­ment sur le vaste séjour presque nu, où les reli­quats de l’accent Cobourg, carac­té­ris­tique des pre­miers monarques belges, réson­ne­ront long­temps sur l’enregistrement.

En jeans Levi’s, per­fec­to bleu dur et col rou­lé noir, Esmeralda de Belgique, 62 ans, déplace sa sil­houette de jeune fille avec quelques fris­sons — il neige dehors et elle arrive de Londres à l’instant — en quête de ce café qu’elle s’est pro­po­sé de pré­pa­rer. C’est qu’elle n’occupe que par inter­mit­tence cet appar­te­ment sis, dirait l’agence immo­bi­lière, dans une rési­dence de stan­ding, d’où l’on dis­tingue les jar­dins de l’abbaye de la Cambre : depuis son mariage avec le scien­ti­fique d’origine hon­du­rienne Salvador Moncada, en 1998, Esmeralda de Belgique vit pour l’essentiel dans la capi­tale bri­tan­nique, même si elle a gar­dé la natio­na­li­té de son nom et vote ici même.

Il faut n’avoir jamais vu une pho­to de Lilian Baels — pro­fil de   dan­seuse anda­louse et grâce un rien sévère — pour n’être pas frap­pé par la res­sem­blance de la prin­cesse avec sa mère. Fille de la grande bour­geoi­sie osten­daise, Lilian Baels épouse Léopold III en l’an de dis­grâce 1941, alors que la Belgique est occu­pée et que le gou­ver­ne­ment, réfu­gié à Londres, tente d’organiser la résis­tance autour du Premier ministre social-chré­tien Hubert Pierlot. Le roi, res­té en Belgique, se consti­tue pri­son­nier des Allemands, mais trouve le loi­sir de ce rema­riage d’amour. Hitler envoie fleurs et féli­ci­ta­tions. Un temps tenues secrètes, les épou­sailles seront d’autant plus mal accueillies par l’opinion qu’elles semblent balayer le sou­ve­nir de la popu­laire reine Astrid, tra­gi­que­ment dis­pa­rue dans un acci­dent de voi­ture, quelques années plus tôt.

Tel est le des­tin de cer­taines pro­gé­ni­tures : devoir inlas­sa­ble­ment rendre compte des faits de leurs parents, et jusqu’à leur moindre geste anténatal.

Lilian Baels, qui devient prin­cesse de Réthy, est dès lors ins­tau­rée marâtre de la nation : sédui­sante effi­gie de l’aveuglement d’un roi face au nazisme, intri­gante belle-mère de conte de fées, façon­nant les futurs rois Baudouin et Albert II. Au sor­tir de la guerre, ce mariage sera l’un des fer­ments toxiques de la Question royale — Léopold III devait-il ou non ren­trer en Belgique ? — qui divi­sa le pays entre gauche et droite, Flamands et Wallons, ter­ri­toires ruraux et indus­triels. De sou­bre­saut en sou­bre­saut, le roi se résou­dra à l’abdication en 1951, cinq ans avant la nais­sance d’Esmeralda.

« Ma mère m’a tou­jours dit que ce mariage avait été une erreur, mais qu’ils vivaient alors en pen­sant qu’ils allaient peut-être mou­rir, qu’ils ne ver­raient peut-être jamais la fin de la guerre. » Tel est le des­tin de cer­taines pro­gé­ni­tures : devoir inlas­sa­ble­ment rendre compte des faits de leurs parents, et jusqu’à leur moindre geste anté­na­tal. Peut-être n’est-il alors pas insen­sé de prendre les devants, comme Esmeralda de Belgique le fit en col­la­bo­rant à plu­sieurs docu­men­taires et livres consa­crés à l’histoire fami­liale. « Cela cor­res­pon­dait à une période de ma vie, mais cette page est tour­née », résume-t-elle, jouant d’une main dis­traite avec sa boucle d’oreille fantaisie.

D’autres che­vaux de bataille ont depuis enva­hi le champ. En 2010, la prin­cesse, jour­na­liste de son métier, fait paraître Terre !, plai­doyer envi­ron­ne­men­tal dans lequel elle s’entretient avec des poin­tures telles que Mikhaïl Gorbatchev ou Mario Vargas Llosa, par la grâce des faci­li­tés diplo­ma­tiques. Elle publie quatre ans plus tard Femmes prix Nobel de la paix, où elle donne la parole à la Birmane Aung San Suu Kyi ou encore à Ellen Johnson Sirleaf, alors pré­si­dente du Liberia. En 2016, elle sol­li­cite une ren­contre avec le pape François, qu’elle juge « for­mi­dable, très ouvert » pour le sen­si­bi­li­ser au droit des peuples indi­gènes avant son voyage en Amérique latine. Son mari, qui l’accompagne alors au Vatican, a depuis inté­gré l’Académie pon­ti­fi­cale des sciences, char­gée d’informer le pape sur les grands sujets de ce monde. Pour autant, le couple n’est pas croyant : si leurs enfants sont bap­ti­sés, c’est, explique la prin­cesse, « par res­pect » pour sa mère qui y accor­dait grande importance.

Les nobles causes ont beau avoir évin­cé l’enquête fami­liale, la figure du père demeure obsé­dante, en par­tie irré­con­ci­liable avec le per­son­nage his­to­rique. Et ce n’est pas le tes­ta­ment offi­ciel du roi, inti­tu­lé Pour l’Histoire et dans lequel son rema­riage est gros­siè­re­ment pas­sé sous silence, qui eût pu éclai­rer les choses. « Tout le monde sait que le mariage de mes parents était le nœud du pro­blème. Si mon père était là aujourd’hui, avec tout ce que j’ai décou­vert, tout ce que j’ai lu, je lui aurais deman­dé de me racon­ter plus. »

Aurait-il com­mis des erreurs, il n’en serait pas moins aimé. « Qui suis-je pour par­ler de poli­tique ? Moi, j’ai connu l’homme. Je pou­vais tout dire à mon père, et par­fois, nous n’avions même pas besoin de par­ler. » Quand naît Esmeralda, Léopold III a 55 ans. Avec Lilian de Réthy, il a eu pré­cé­dem­ment deux enfants : Alexandre et Marie-Christine, en 1942 et 1951. Sa petite der­nière sera la véri­table com­plice de sa nou­velle vie, pla­cée sous le signe des voyages, en Amazonie notam­ment, et de la pho­to­gra­phie, qu’il pra­tique assi­dû­ment, jusqu’à consti­tuer une col­lec­tion d’importance. Esmeralda de Belgique met­tra un point d’honneur à l’archiver, l’exposer et la publier. « J’ai eu la chance de connaître mon père à une période de sa vie où il pou­vait s’adonner à ses pas­sions. J’ai connu un homme apaisé. »

Étrange deuxième acte que celui enta­mé à Argenteuil en 1961, alors que Léopold III est prié par le gou­ver­ne­ment de quit­ter le châ­teau de Laeken, qu’il par­ta­geait jusqu’alors avec son fils, le roi Baudouin. Lequel, plus tard, sera l’objet de curieuses rumeurs remuées épisodiquement.

Leur der­nière résur­rec­tion, des œuvres du Laatste Nieuws, date de mars 2019 : à en croire le quo­ti­dien fla­mand, l’ancien Premier ministre Achille Van Acker — dont les archives viennent d’être ren­dues publiques — aurait été témoin d’une pré­ten­due idylle secrète entre Baudouin et Lilian, entre le beau-fils et la belle-mère, qui remon­te­rait au début des années 1950. Comme si le conte de fée man­quait de trash. Mais repre­nons le cours offi­ciel de l’histoire. Dans le domaine ver­doyant du châ­teau de Laeken, au sud de la forêt de Soignes que pro­longe au nord le bois de la Cambre visible depuis l’appartement de la prin­cesse, émerge une cour royale paral­lèle, moins guin­dée, plus maligne, gen­ti­ment artiste.

On y reçoit Stanislas-André Steeman — qui fait rire la com­pa­gnie en imi­tant Baudouin —, Eddy Merckx ou le comé­dien Jean Piat, célèbre pour son rôle de Cyrano, une pièce que la jeune Esmeralda s’empresse d’apprendre par cœur. « Adolescente, je vou­lais être actrice. La pos­si­bi­li­té d’être dif­fé­rents per­son­nages me fas­ci­nait. » Soucieux de décou­ra­ger cette voca­tion, ses parents lui dépeignent la concur­rence impi­toyable. Plongée dans la soli­tude crasse au milieu du beau monde — « Je ne côtoyais pas de jeunes de mon âge. Je ne savais pas ce que c’était que de par­ta­ger, de dis­cu­ter » —, elle doit pour­tant pen­ser à l’avenir. C’est qu’il fau­dra, toute prin­cesse qu’on est, prendre un métier, car pas plus que son frère et sa sœur, Esmeralda n’est dynaste.

Contrairement aux enfants du pre­mier lit, elle ne peut pré­tendre au trône et n’a droit à aucune dota­tion, cepen­dant qu’elle échappe dans le même temps à tout devoir de réserve. La chance d’une vie, estime celle qui plaint ceux de ses appa­ren­tés sou­mis aux règles d’une monar­chie qu’elle juge « anachronique ».

Si ce n’est la comé­die, l’écriture pour­rait faire l’affaire. Le jour­na­lisme n’est plus si loin. « J’avais aus­si peur que l’idée déplaise à mon père, que la presse avait beau­coup mal­me­né, mais il était tout à fait d’accord. Il disait que jour­na­liste était le plus beau métier du monde, à condi­tion qu’il soit exer­cé avec hon­nê­te­té. Mais bien sûr, il n’était pas ques­tion que je m’occupe de poli­tique belge. » Pour cette jeune femme qui n’est jamais allée à l’école et n’a pour cama­rades que de vagues cou­sins, l’arrivée aux facul­tés Saint-Louis s’assimile à un « trem­ble­ment de terre ». L’entrée dans l’arène est d’autant plus rude que les regards repèrent ins­tan­ta­né­ment dans l’auditoire la fille de Léopold III.

Une jeune Canadienne, par son igno­rance, lui sau­ve­ra la mise. Au départ de ce pre­mier copi­nage, Esmeralda devient une étu­diante comme une autre, qui sèche les cours pour battre les cartes à la café­té­ria, s’ennuie un peu et ne brille que par inter­mit­tence. Son ascen­dance royale lui sert, quand il s’agit d’entrer en contact avec le baron Empain, à l’enlèvement duquel elle consacre son mémoire. Son ascen­dance amuse, lorsque ses ini­tiales lais­sées dans La Libre Belgique, où elle est sta­giaire, donnent au jour­nal sati­rique Pan l’occasion de cette bou­tade : ces articles sont-ils signés par Emily Brontë, Emma Bovary ou Esmeralda de Belgique ?

Qu’elle ait de la pre­mière la fougue et de la seconde le petit rêve d’une autre vie n’est pas exclu. Diplômée, elle fait ses pre­mières armes au Figaro Magazine, alors diri­gé par Louis Pauwels, ami d’amis de la famille. Elle prend alors le nom de « de Réthy », don­né à sa mère après son mariage et qu’utilisait déjà son grand-père Albert Ier lors de ses voyages. La rédac­tion pari­sienne, certes brillante, n’est pas exempte de miasmes machistes. Et son posi­tion­ne­ment « très à droite » n’enthousiasme pas tout à fait la jeune jour­na­liste, fille de roi certes, mais fille de sa géné­ra­tion, en quête d’égalité tous azi­muts dans ces primes années 1980.

Esmeralda de Réthy devient alors pigiste dans la presse maga­zine, espa­gnole et ita­lienne notam­ment, s’occupant de déco­ra­tion, réa­li­sant des inter­views d’artistes et de scien­ti­fiques. Elle mène­ra plus de quinze ans cette vie de free­lance, démé­na­geant d’un arron­dis­se­ment à l’autre de Paris, goû­tant les plai­sirs d’un rela­tif ano­ny­mat. Pendant ce temps, sa mère, veuve de Léopold III depuis 1983, se ronge les sangs. « Ma mère était obsé­dée par la ques­tion de mon mariage car elle vou­lait abso­lu­ment des petits-enfants, que ni mon frère ni ma sœur ne lui avaient don­nés. Or, elle pen­sait qu’avec mon métier, je ne me marie­rais jamais. » Mais à 42 ans, Esmeralda épouse in extre­mis Salvador Moncada, membre du conseil scien­ti­fique de la Fondation Lilian. « Ma mère ne voyait pas ce mariage d’un bon œil. D’abord parce qu’elle trou­vait que mon futur mari était beau­coup plus âgé que moi, alors que nous avons douze ans d’écart et qu’elle en avait quinze avec mon père… Ensuite, parce qu’il était divor­cé. Enfin, parce qu’il n’était pas catholique. »

La nais­sance des petits-enfants — Alexandra en 1998 et Leopoldo en 2001 — fera fina­le­ment oublier à la prin­cesse Lilian ses réti­cences. Elle meurt en 2002, apai­sée de se savoir une des­cen­dance. Après son mariage, la prin­cesse Esmeralda démé­nage à Londres, mais pré­cise — la boucle d’oreille qu’elle tri­ture en tombe — qu’il ne s’agit en aucun cas d’un acquies­ce­ment à « la culture macho qui veut que ce soit tou­jours à la femme de sacri­fier sa car­rière » : plu­tôt une déci­sion logique, liée aux enga­ge­ments de son mari. Car l’homme n’est pas un scien­ti­fique de car­rure étroite. Anobli par la reine d’Angleterre, sir Moncada aurait été pres­sen­ti deux fois pour le prix Nobel de méde­cine. Lilian Baels croyait dur comme fer qu’il en avait été écar­té à cause de manœuvres sou­ter­raines, liées à ce mariage avec sa fille.

Consolation peut-être : leur fille Alexandra, aujourd’hui étu­diante en bio­lo­gie molé­cu­laire, devrait se lan­cer dans la car­rière scien­ti­fique. Pour l’heure, il n’est pas rare de l’apercevoir au bras de sa mère dans les galas de cha­ri­té, sil­houette pul­peuse et longue che­ve­lure brune. Dans une inter­view publiée dans Paris Match, le duo affi­chait l’été der­nier sa com­pli­ci­té, s’indignant de conserve que toutes les femmes aient été har­ce­lées au moins une fois dans leur vie. « J’ai connu les mains dépla­cées, mais cer­tai­ne­ment beau­coup moins que d’autres car j’étais pro­té­gée par mon nom », estime Esmeralda.

La prin­cesse a fait état de ses posi­tions en faveur de l’IVG, sujet hau­te­ment inflam­mable au sein de la monar­chie belge.

La prin­cesse n’a pas atten­du l’affaire Weinstein pour par­ler droits des femmes. Elle a fait état publi­que­ment de ses posi­tions en faveur de l’interruption volon­taire de gros­sesse, sujet hau­te­ment inflam­mable au sein de la monar­chie belge. Sur son compte Twitter, les #stop­vio­len­cea­gainst­wo­men, #wome­nins­pire et autres #womens­rights sont légion. Une fibre qu’elle dit n’avoir pas héri­tée de sa mère, ce gar­çon man­qué aux allures de diva, qui ado­rait la chasse et les sports, mais esti­mait que les femmes étaient intrin­sè­que­ment infé­rieures aux hommes en lit­té­ra­ture comme en art culi­naire. « C’est tel­le­ment injuste comme juge­ment, quand on sait com­ment les femmes ont été tenues à l’écart de ces domaines .» Inutile encore d’aller cher­cher du côté sa grand-mère la reine Élisabeth, cor­res­pon­dante de Colette certes, mais qui s’accommoda fort bien de la condi­tion de son sexe. « Quand on vient d’un milieu pro­té­gé, d’une cer­taine manière, on ne peut pas com­prendre. C’est uni­que­ment parce que j’ai vécu seule, que j’ai eu des amis dans tous les milieux, de toutes natio­na­li­tés, que j’ai pu ima­gi­ner les dif­fi­cul­tés des autres femmes. »

L’engagement en faveur de l’environnement, c’est autre chose. Une pas­sion qui se confond avec l’amour du père, qui asso­cia très tôt Esmeralda à son « Fonds pour l’exploration et la conser­va­tion de la nature », dont elle est aujourd’hui la pré­si­dente. Pour Michel Genet, ancien direc­teur de Greenpeace Belgique et actuel direc­teur poli­tique d’Ecolo, sa démarche est de toute évi­dence « super sin­cère ». Il a connu Esmeralda de Belgique en 2015, à l’occasion d’un col­loque consa­cré à l’exploration gazière et pétro­lière en Arctique.

Le col­loque se tenait pré­ci­sé­ment au châ­teau d’Argenteuil, mis en vente par l’État après la mort de Lilian de Réthy, et fina­le­ment rache­té par l’homme d’affaires Jean-Marie Delwart. « C’est un endroit auquel j’étais très atta­chée, que je vou­lais gar­der comme patri­moine natio­nal, com­mente la prin­cesse. C’était un choc qu’il soit mis en vente, mais heu­reu­se­ment, le nou­veau pro­prié­taire est pas­sion­né par la nature, comme l’étaient mes parents. » Sur la sug­ges­tion de Delwart, Michel Genet demande à Esmeralda d’assurer le haut patro­nage de l’événement. Elle devien­dra par la suite l’une de ses amies, mais sur­tout une amie très proche du Sud-Africain Kumi Naidoo, alors patron inter­na­tio­nal de Greenpeace. « Elle a héri­té de son père le natu­ra­lisme et comme beau­coup de natu­ra­listes — mais pas tous —, elle a fait le pas d’un enga­ge­ment pour la pro­tec­tion de la nature à un enga­ge­ment pour la tran­si­tion, estime Michel Genet. C’est une femme qui, sous ses dorures de prin­cesse, tient un dis­cours très enga­gé et très proche de ce que pensent beau­coup de pro­gres­sistes. » Politiquement lim­pide, Esmeralda ? « Je pense que sur les enjeux envi­ron­ne­men­taux, comme sur la cause des femmes et la jus­tice sociale, elle n’est en effet pas très loin d’un par­ti comme Ecolo. »

Sur les réseaux sociaux, la prin­cesse s’est aus­si fait le relais actif de la marche des jeunes pour le cli­mat. Elle, la prin­cesse de 62 ans, sait depuis long­temps qu’elle a un rôle moins exci­tant à jouer qu’Anuna De Wever, mais que ce rôle lui est impar­ti. Ainsi consacre-t-elle une par­tie de son temps à sen­si­bi­li­ser les « grands dona­teurs », ceux-là mêmes dont l’apport pécu­niaire fait la dif­fé­rence pour les asso­cia­tions envi­ron­ne­men­tales, ceux-là mêmes qu’on convie dans des dîners entre gens du même monde, ceux-là mêmes qui sont d’accord pour sau­ver la pla­nète, pour­vu qu’une prin­cesse le demande.

Surprenante prin­cesse qu’Esmeralda, anti­thèse appa­rente de son aînée Marie-Christine, qui cou­pa les ponts avec sa famille après son mariage éclair, au début des années 1980, avec un pia­niste de bar qué­bé­cois et homo­sexuel, et les lourdes dettes qui s’ensuivirent. Dans son bureau lon­do­nien, cha­leu­reux cube boi­sé où elle se tient lors de notre second entre­tien par Skype, des cadres s’affichent en arrière-plan comme autant de légendes. Il y a des pho­to­gra­phies réa­li­sées en Colombie par Léopold III. Un por­trait d’Alexandra avec sa demi-sœur, fille de Moncada. Un autre de son mari. Et une qu’elle est fière de nous mon­trer, la célèbre pho­to du Che, dédi­ca­cée par son auteur Alberto Korda, qui n’obtint jamais un sou pour ce cli­ché aus­si mythique que chris­tique. Un peu révo­lu­tion­naire, un peu midi­nette, la prin­cesse rap­pelle que pour les gens de sa géné­ra­tion, Ernesto Guevara était une icône, un point c’est tout. À la voir dans ce décor aux allures de boîte à musique, une hypo­thèse s’insinue : si Esmeralda dégage plus de liber­té que d’autres sujets du royaume, c’est peut être parce qu’elle a tou­jours su qu’elle n’échapperait pas tota­le­ment aux règles du jeu, que cet accent Cobourg conti­nue­rait de tapis­ser l’arrière de ses phrases, que les armoi­ries lui col­le­raient tou­jours vague­ment à la peau, que son ouver­ture d’esprit serait tou­jours un peu, vue de loin, une manière de rache­ter le père et tous ceux qui l’ont pré­cé­dé, jusqu’à Léopold II et à la conquête colo­niale, jusqu’à la pre­mière main­mise des puis­sants et la pre­mière révolte de ceux qui vou­lurent y échap­per. De son vrai pré­nom, Marie-Esmeralda, elle n’a d’ailleurs jamais uti­li­sé que la moi­tié : la bohème rebelle contre l’éternel fémi­nin biblique. « Mon père a choi­si mon nom lors d’un voyage au Venezuela. Là-bas, il y a une mon­tagne aux reflets verts que les Espagnols ont bap­ti­sée Esmeralda car ils pen­saient qu’elle était recou­verte d’émeraudes, mais il s’agissait en fait d’un genre de quartz, une pierre semi-pré­cieuse. » Semi-pré­cieuse par­mi les ridi­cules, quartz cou­leur nature au milieu des ors ruti­lants, Esmeralda est la preuve faite femme que la monar­chie en toc, dans ses marges, bouge encore.—