Un nouveau monde fait femme
"Je suis féministe. Ne me suis jamais posé la question. Une personne égale une personne. Point."
"Je suis féministe. Ne me suis jamais posé la question. Une personne égale une personne. Point."
'Nous avons les mains rouges' est un roman oublié qui, en 2021, n'a rien perdu de sa pertinence. Pour l'édito de son douzième numéro, Wilfried a rouvert cet ouvrage, récent lauréat du Prix Mémorable.
Drôle de bouclage.
Drôle d’année.
On achève ce numéro 14 comme on tire un trait sur 2020 : sans y croire.
Jusqu’où remonter pour comprendre où l’on en est ? Jusqu’où creuser pour atteindre le noyau dur du mal ? Au fur et à mesure que le virus se faufilait dans les rues et dans les corps, envahisseur vicieux, féroce, l’armée des gouvernants et des soignants se mobilisait. Un dispositif se déployait, focalisé sur le quand, le comment et le combien. On mettait en quarantaine, on étendait le cordon sanitaire. Tant de vies à sauver. Dans ce branle-bas général, le pourquoi a mis un peu de temps à s’inviter dans les consciences. On a accusé les avions, la mondialisation, la voracité capitaliste, l’incurie gouvernementale, la désunion européenne, l’opacité chinoise, la fraternité qui s’étiole, Maggie De Block, et bien sûr le pangolin. Les réponses ont toutes paru superficielles, ridiculement partielles. Le pourquoi appelait sans cesse d’autres pourquoi. Pour comprendre, il fallait remonter plus loin dans le temps, toujours plus loin, et creuser plus profond, toujours plus profond.
Pour comprendre qui l’on est, il est recommandé de se mesurer à l’autre. Se comparer à lui. L’autre c’est la France. Ce pays volumineux sur lequel la Belgique semble posée, comme si son destin était de tressaillir à chaque haut-le-cœur de l’Hexagone, qui serait son corps et son âme à la fois. Les deux pays sont aujourd’hui deux véhicules immobilisés dans une tranchée dont l’origine première est pourtant différente. Sociale chez nos voisins, existentielle ici. Destins désolidarisés l’un de l’autre, cette fois. La vie est plus complexe qu’une carte.
Pour son numéro de rentrée, Wilfried choisit d’accorder une large place à la Flandre. Non pas, comme on pourrait le croire, par exotisme. Ni même par curiosité sincère pour des voisins méconnus. Les Flamands sont des gens étranges, ça oui, vraiment étranges, mais pas nos étrangers, quoi qu’on en dise.
Si nous devions aller en Flandre, y aller en long et en large, c’était pour nous retrouver. Parcourir cette part du pays que nous formons, malgré tout, qu’on le veuille ou non, qu’on l’aime ou non — le détester serait une opinion respectable —, en racler le fond, c’est explorer un autre nous-mêmes.
Place donc aux Belgique, aux Flandres, à la Flandre extrême, à la Flandre mal sortie des guerres, à la Flandre frustrée, à la Flandre nue, extravagante, caustique, libre, à la Flandre de la Meuse, à celle de l’Escaut et à celle de l’Yser, la Flandre des canaux et des wateringues, la Flandre des routes en béton, la Flandre de Lieve, de Remco et de Bart. La Flandre sous eau. La Flandre en feu. Ce voyage-là méritait bien qu’on aille au bout.
Michel Houellebecq partage avec Bart De Wever le goût des catégorisations schématiques. Un jour, l’écrivain osa cette théorie : l’humanité se répartit en deux sous-ensembles, les chauds et les froids. Comme en écho, le bourgmestre d’Anvers martèle ce discours : la Belgique se divise en deux sociétés, nordiste et sudiste, entre lesquelles passe une frontière étanche.