Certains francophones parlent de moins en moins le néerlandais et certains Flamands ont développé à l’égard du français une hostilité certaine. Caroline De Mulder, écrivaine biculturelle, se demande si on peut coexister sans se comprendre dans un pays par essence bilingue.
[:fr]Ik kijk op naar de Vlaamse leerkrachten die in onze immersiescholen les geven in het Nederlands, ondanks een mindere salaris. En ik lach groen bij de gedachte dat ik, als “Doctor in de taal en letterkunde: romaanse talen” van de Universiteit Gent, en professor aan de Universiteit van Namen, geen les Frans zou mogen geven in een secundaire school van de Federation Wallonie-Bruxelles ; mijn diploma werd namelijk toegekend door een Vlaamse universiteit en ik beschik dus niet over het “vereist bekwaamheidsbewijs”.
Pardon.
J’oubliais que nous sommes dans un pays bilingue où l’on ne parle plus la langue de l’autre.
Dans la situation étrange et plus que bâtarde (plus que belge ?) d’une Flamande d’origine mais professeur de littérature française à Namur et vivant à Bruxelles, par ailleurs romancière publiée en France, je lis régulièrement les principaux journaux belges, néerlandophones et francophones et, clairement, « something is lost in translation ». En effet, nous ne nous comprenons plus, au sens premier du mot « comprendre ». Pour comprendre, il faut connaître un minimum la langue de l’autre – et faire l’effort de l’apprendre.
Il y a quelques années, je me suis retrouvée, pour la première fois, face à des étudiants sortis des écoles belges francophones qui ne parlaient plus du tout le néerlandais ; les élèves peuvent maintenant choisir l’anglais – n’est ce pas l’avenir? Sans mépriser l’atout que représente une bonne connaissance de l’anglais, je n’ai pu m’empêcher de les gronder doucement. Se rendent-ils bien compte de l’inconvénient, à tous points de vue, professionnel mais aussi culturel et littéraire, que représente le fait de ne pas comprendre un mot de l’autre langue d’un pays bilingue par essence ?
Que voulons-nous réellement, rester ensemble ou nous quitter? Persévérer ou abandonner ? Alors que tous les principaux partis politiques francophones défendent une Belgique unie et s’offusquent des velléités séparatistes au nord du pays, comment comprendre que nos élèves puissent à présent choisir de ne plus apprendre (du tout) le néerlandais? Avec tristesse aussi, j’ai remarqué de la part de certains Flamands sinon une franche hostilité envers la langue française, à tout le moins une hostilité certaine envers les francophones qui ne font pas ou peu l’effort de s’exprimer (même mal) en néerlandais. Plusieurs fois, pour épargner à des amis français ou suisses un interlocuteur flamand faisant la sourde oreille, je leur ai conseillé, non sans honte, de parler anglais plutôt que français – ou alors de préciser d’entrée de jeu à leur interlocuteur qu’ils venaient de France ou de Suisse.
Le « vivre ensemble » est devenu une injonction qu’on nous répète ad nauseam. Et quel est-il donc, ce « vivre ensemble » où plus personne ne se donne la peine d’apprendre et de parler la langue de son concitoyen de tradition, d’histoire et de territoire ? Nous vivrons donc ensemble en ne parlant que ce que certains appellent en plaisantant « l’anglais Erasmus » ? Pouvons-nous nous étonner que la situation soit aussi tendue entre les communautés francophone et néerlandophone ?
Alors, je termine où j’ai commencé – et je traduis. J’applaudis les écoles à immersion où des enseignants flamands, malgré un salaire moindre, s’engagent à donner des cours en néerlandais. Et je m’amuse (mais sans rire) de savoir que, docteur en langues et lettres françaises à l’Université de Gand, et professeur à l’Université de Namur, je ne serais, le cas échéant, pas autorisée à enseigner le français dans une école secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; en effet, je suis diplômée d’une université flamande et, dès lors, je ne dispose pas d’un « titre requis ».
Nous manquons de profs de néerlandais en Wallonie et à Bruxelles ? De profs de français en Flandres ? Et pourtant, nous nous privons de locuteurs natifs, pour d’obscures raisons administratives (et politiques), puisque nous nous interdisons d’engager d’enseignants agrégés d’universités flamandes. Et vice versa pour les professeurs de français en Flandre.
Je pourrais bien sûr lancer un appel aux ministres de l’enseignement des différentes communautés, mais je préfère m’adresser aux intellectuels francophones, qui sont aussi ceux que par métier je côtoie le plus : faisons l’effort de nous ouvrir à la langue, à la culture et à la littérature de notre autre moitié – de cet « autre » qui nous est le plus proche. Je me rappelle avoir été profondément choquée par la chronique dans Le Soir d’un romancier, je crois, dont le nom m’échappe et qui proclamait « J’ai toujours eu peur des Flamands ».
On a souvent peur de ce qu’on ne comprend pas ; mais comment comprendre, si on ne veut pas connaître ? Il est vrai que le ton de l’article était plaisant, d’une ironie presque tendre. Moi, il ne m’a pas fait rire, même pas sourire. Mais il est vrai aussi que les Flamands – comme le disait Brel, qui en était un lui-même – n’ont pas le sens de l’humour.[:]