Un plan Scieur pour la Wallonie

Manifeste pour un cyclisme sans danger
Auteur

Qui oserait aujourd’hui, comme Léon Scieur en son temps, ouvrier vélotaffeur avant de devenir le vainqueur du Tour de France 1919, faire la navette Florennes-Châtelet à vélo ? Si la Wallonie fut une terre fertile en champions, le cyclisme semble ne plus y avoir sa place. Dans un appel aux autorités régionales soutenu par la rédaction de « Wilfried », un collectif de coureurs et coureuses dénonce le danger omniprésent sur les routes au sud du pays et l’impunité dont jouissent trop souvent les fous du volant. Le temps est venu pour une « révolution mentale », afin de remettre le cyclisme au cœur de l’imaginaire et des pratiques.

Cliquez ici pour accéder directement à la pétition

Il y a le vélo et il y a le cyclisme. Ce sont deux mondes éton­nam­ment dis­tincts, deux hémi­sphères presque étanches. Le pre­mier vise le dépla­ce­ment, le second relève du sport. Le vélo ren­voie au loi­sir, au voyage, au tra­jet uti­li­taire ; le cyclisme est affaire de vitesse, de per­for­mance, d’entraînement, de compétition. 

En pas­sant de l’un à l’autre, ce ne sont pas seule­ment les usages qui changent, ni même la vitesse moyenne et l’habillement. Entre vélo et cyclisme, le fos­sé est d’ordre socio­lo­gique. À cha­cun son public. Les deux mondes se côtoient peu, s’ignorent le plus sou­vent, se méprisent parfois.

Est-ce pour cette rai­son que les cou­reurs et les cou­reuses cyclistes, jusqu’à pré­sent, ont peu fait entendre leur voix dans les débats sur la mobi­li­té, la sécu­ri­té rou­tière, les amé­na­ge­ments cyclables, qui pour­tant les concernent au pre­mier chef ? 

Coureurs pro ou vélo­taf­feurs, nous affron­tons les mêmes dan­gers — le pre­mier d’entre eux étant la vio­lence motorisée.

Nous qui avons la course dans le sang, nous par­ta­geons pour­tant avec les cyclistes du loi­sir, du voyage et de l’utilitaire bien plus qu’on ne le croit sou­vent. Coureurs pro ou vélo­taf­feurs, com­pé­ti­trices ou ran­don­neuses, nous avons en com­mun un même ins­tru­ment, cette fas­ci­nante machine à deux roues qui com­bine le meilleur de l’artisanat et de l’industrie, tou­jours extra­or­di­nai­re­ment moderne deux cents ans après son inven­tion. Nous évo­luons dans un même contexte : la route, le plein air. Et nous affron­tons les mêmes dan­gers — le pre­mier d’entre eux étant la vio­lence motorisée.

Il est temps que nous unis­sions nos forces.

Temps, aus­si, que le franc tombe pour les diri­geants poli­tiques et les hauts fonc­tion­naires de notre région. Que ceux-ci ouvrent enfin les yeux sur cette véri­té : pra­ti­quer le cyclisme en Wallonie revient à mettre son inté­gri­té phy­sique en dan­ger. Il n’est pas nor­mal pour des spor­tifs et des spor­tives d’aller s’entraîner la peur au ventre, de tres­saillir à chaque vrom­bis­se­ment de moteur. 

Voici tout juste cent ans, Firmin Lambot, déjà vain­queur de l’édition 1919, rem­por­tait le Tour de France 1922. Un autre Wallon, Léon Scieur, avait gagné l’épreuve en 1921. Ce furent les années d’or du cyclisme wal­lon. On pen­sait alors que bien d’autres vic­toires sui­vraient, que la Wallonie était vouée à res­ter l’une des régions phares sur la carte mon­diale du cyclisme — à l’instar de la Bretagne, de la Lombardie, du Pays basque, et bien sûr de la Flandre. Mais non, c’en est res­té là. 

On peut se deman­der pour­quoi. Fatalité ? Hasard ?

Il est aujourd’hui utile de rap­pe­ler qu’avant de se muer en cour­sier d’exception, Léon Scieur fut un navet­teur-péda­leur, un « vélo­taf­feur », bien que le terme n’existât pas encore. Habitant de Florennes, le jeune Scieur — pas encore cou­reur pro­fes­sion­nel — était ouvrier dans une usine de Châtelet. Chaque matin, chaque soir, il par­cou­rait à vélo les vingt kilo­mètres qui sépa­raient son tra­vail de son domi­cile. Ces tra­jets quo­ti­diens ont affer­mi son goût du vélo. Été comme hiver, il éprou­va ce que l’engin offre comme plé­ni­tude, l’inouïe sen­sa­tion de liber­té mêlée au plai­sir de la vitesse. Une rare com­bi­nai­son qui reste d’une véri­té intacte un siècle plus tard, pour toutes les caté­go­ries de cyclistes — ce n’est pas un hasard si le mot « vélo » vient du latin velox, qui signi­fie « rapide ». Posons tou­te­fois la ques­tion : qui ose­rait à pré­sent uti­li­ser le vélo pour faire Florennes-Châtelet, ou Florennes-Charleroi ? Les routes qu’empruntait Léon Scieur sont deve­nues des natio­nales satu­rées de camions, des voi­ries par­ti­cu­liè­re­ment hos­tiles aux cyclistes. Nous invi­tons tout ministre régio­nal, bourg­mestre wal­lon ou ingé­nieur du SPW Mobilité à s’en rendre compte de ses propres yeux, en notre com­pa­gnie éven­tuelle. Il faut soi-même éprou­ver phy­si­que­ment le dan­ger des routes wal­lonnes pour mesu­rer la gra­vi­té de la situa­tion. C’est le quo­ti­dien des cyclistes de se dire en pas­sant à tel ou tel endroit : les per­sonnes qui ont conçu cette route, mani­fes­te­ment, n’y roulent jamais à vélo.

Nous invi­tons tout ministre régio­nal, bourg­mestre wal­lon ou ingé­nieur du SPW Mobilité à s’en rendre compte de ses propres yeux, en notre com­pa­gnie éven­tuelle. Il faut soi-même éprou­ver phy­si­que­ment le dan­ger des routes wal­lonnes pour mesu­rer la gra­vi­té de la situation.

Nous en connais­sons beau­coup, des cou­reurs pro­fes­sion­nels enchan­tés d’exercer leur métier, mais qui refusent d’encourager leurs enfants sur la voie du cyclisme : trop dan­ge­reux ! Nous en connais­sons tant, des filles et des gar­çons de 16 ans qui arrêtent le vélo, dégoû­tés, après avoir été ren­ver­sés par une voi­ture ou frô­lés mille fois par des éner­gu­mènes au volant de leur bolide. Des filles et des gar­çons qui pour­tant avaient du talent à revendre. Ce sont autant d’héritiers de Scieur per­dus pour la Wallonie. Théo Mathy, qui fut avant Rodrigo Beenkens le « mon­sieur vélo » de la RTBF, le déplo­rait au tra­vers d’une chro­nique publiée dans Vers l’Avenir il y a vingt-cinq ans : « En Wallonie, le cyclisme et la route sont, hélas, de moins en moins faits l’un pour l’autre. »

L’an der­nier, nous avions deman­dé à Johan Museeuw, triple vain­queur du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix, pour­quoi la Wallonie engen­drait de nos jours si peu de cham­pions cyclistes en com­pa­rai­son à la Flandre. Il avait hési­té un ins­tant : « L’état des routes, j’imagine… Quel père aurait envie de jeter son fils ou sa fille sur le réseau wal­lon ? Mieux vaut pla­cer ses enfants sur un ter­rain de foot ou de ten­nis. Là, tu es tranquille. »

Les diri­geants publics doivent revoir de fond en comble leurs concep­tions. Cesser de consi­dé­rer ces inci­dents, du plus banal en appa­rence (une voi­ture qui dépasse un peu trop vite, un peu trop près) jusqu’au plus tra­gique (l’accident mor­tel), comme une suc­ces­sion de faits-divers sans lien les uns aux autres. Il faut ouvrir les yeux : ces faits par­ti­cipent tous d’un sys­tème géné­ra­li­sé de mépris pour les cyclistes et de vio­lence moto­ri­sée, sou­vent dans l’impunité. Un sur­saut des pou­voirs publics est indis­pen­sable. La Wallonie est en retard, ter­ri­ble­ment en retard, sur les pays et les régions qui l’entourent.

Un sur­saut des pou­voirs publics est indis­pen­sable. La Wallonie est en retard, ter­ri­ble­ment en retard, sur les pays et les régions qui l’entourent.

Avec 5,8 mil­lions d’habitants, le Danemark compte une popu­la­tion à peine supé­rieure à celle de la Wallonie (3,7 mil­lions). Pourtant, ce pays où la tra­di­tion du sport cycliste est bien moins ancrée que chez nous obtient depuis quelques années des résul­tats spec­ta­cu­laires dans les courses majeures. Le Tour de France 2022 a été rem­por­té par le jeune Jonas Vingegaard. Quatre étapes sur vingt ont été enle­vées par des Danois : aux deux suc­cès de Vingegaard, se sont ajou­tés ceux de Magnus Cort Nielsen et de Mads Pedersen. 

En dépit de sa petite taille, le Danemark occupe le sixième rang chez les hommes, le neu­vième rang chez les femmes au clas­se­ment inter­na­tio­nal éta­bli par le site Cycling Quotient. Comment ne pas mettre en rela­tion le boom du cyclisme danois et la poli­tique menée par ce pays pour sou­te­nir les dépla­ce­ments non moto­ri­sés ? « Chez nous, vous rece­vez un vélo pour vos 3 ans, vous allez à l’école avec et c’est sou­vent le moyen le plus rapide et pra­tique pour se dépla­cer », décla­rait au jour­nal Le Monde en juillet der­nier Michael Morkov, habi­tant de Copenhague et cou­reur pro­fes­sion­nel chez Deceuninck-Quick Step.

Autre don­née par­lante : sur les huit étapes du Tour de France Femmes, six ont été gagnées par des cou­reuses des Pays-Bas, un pays où un quart des dépla­ce­ments se fait à vélo. Les deux étapes res­tantes ont été gagnées par une Danoise et une Suisse. 

La ques­tion du cyclisme fémi­nin est loin d’être un élé­ment secon­daire dans ce débat. On sait à quel point les atti­tudes de caïds sur la route sont intri­quées dans une men­ta­li­té viri­liste et relèvent sou­vent d’un machisme lar­vé. Le sur­saut que nous appe­lons de nos vœux en faveur du vélo s’apparente, dans sa logique, à ce bas­cu­le­ment qui se dif­fuse peu à peu dans la socié­té à la suite du mou­ve­ment #MeToo. Des faits de vio­lence envi­sa­gés jusqu’il y a peu comme rele­vant de la sphère pri­vée, comme des faits-divers iso­lés, sont à pré­sent com­bat­tus pour ce qu’ils sont : les mani­fes­ta­tions d’un fonc­tion­ne­ment miso­gyne pro­fon­dé­ment enraciné. 

Il serait fal­la­cieux de consi­dé­rer que la dan­ge­ro­si­té du cyclisme en Wallonie est inhé­rente à la den­si­té de la popu­la­tion ou à l’ancienneté du réseau rou­tier. Il faut avoir rou­lé au Pays basque, une région à la socio­lo­gie et à l’histoire assez sem­blables à la Wallonie, pour com­prendre que la mise en dan­ger des cyclistes n’est en aucun cas une fata­li­té. Entre Saint-Sébastien et Bilbao, le pay­sage basque est un entre­lacs de routes et d’entreprises, un espace très den­sé­ment habi­té, à la cir­cu­la­tion tou­jours intense, avec un inces­sant tra­fic de camions. Pourtant, le cycliste n’y éprouve pas la sen­sa­tion de ris­quer sa peau à chaque sor­tie à vélo. Alors que nous fai­sions remar­quer à une connais­sance, non loin de Zarautz, que les conduc­teurs locaux étaient à nos yeux éton­nam­ment pru­dents, celle-ci eut cette réponse : « C’est parce qu’il y a beau­coup de vélos. » Raisonnement d’une logique impla­cable. Plus il y aura de cyclistes, plus les conduc­teurs seront ame­nés à consi­dé­rer la pré­sence de ceux-ci comme natu­relle, légi­time, et devront revoir leur com­por­te­ment en consé­quence. Mais avant cela, la Wallonie doit rompre le cercle vicieux dans lequel elle est engluée : routes dan­ge­reuses, donc peu de cyclistes, donc routes encore plus dan­ge­reuses, etc.

Le plan régio­nal Wallonie cyclable est une amorce inté­res­sante. Sélectionnées par­mi les com­munes pilotes, Mons, Charleroi, Namur et Liège vont béné­fi­cier cha­cune d’une sub­ven­tion de 1,7 mil­lion d’euros. D’autres villes (Tournai, Mouscron, Herstal, Verviers…) rece­vront 1,2 mil­lion. Au total, 116 villes et com­munes ont été sélec­tion­nées. L’objectif est d’amener le vélo à une part modale d’au moins 5 % d’ici 2030.

On en est loin, très loin. Même dans les villes wal­lonnes qui se targuent d’être les plus avan­cées en la matière, la sécu­ri­té ne répond pas aux stan­dards d’une grande ville moderne. On se rap­pelle encore la stu­peur d’un mili­tant asso­cia­tif lorsqu’en octobre 2017, l’échevin de la Mobilité à Mons lui avait adres­sé cet aveu d’impuissance : « Le pro­blème, c’est que Mons n’est pas faite pour les vélos, parce que comme le nom l’indique, Mons, ça monte. » Observation d’une rare absur­di­té quand on sait que le déni­ve­lé entre la par­tie basse de la ville et son point culmi­nant atteint exac­te­ment vingt-quatre mètres. Loin d’être iso­lée, cette anec­dote situe ce qui était (est tou­jours ?) le niveau du débat public sur le vélo en Wallonie.

L’activiste cycliste Luc Leens dres­sait en 2018 ce tableau aus­si impi­toyable qu’irréfutable : « Depuis trente-cinq ans, la Wallonie n’a jamais dévié de sa poli­tique du tout-à-la-voi­ture. Le vélo y repré­sente 1 % des dépla­ce­ments (1). Autant dire 0 %. La véri­té crue, c’est que les auto­ri­tés wal­lonnes ont éra­di­qué le vélo ! Et le réseau Ravel fait par­tie de cette cam­pagne d’éradication. Le Ravel, c’est une réserve d’Indiens. Dans l’Ouest amé­ri­cain, les réserves étaient situées loin des terres fer­tiles, loin des voies de com­mu­ni­ca­tion. On disait aux Indiens : là, vous serez en sécu­ri­té, vous ne serez pas en butte à l’hostilité des cow-boys. C’est exac­te­ment le dis­cours tenu aux cyclistes quand on les exclut des axes prin­ci­paux en pré­ten­dant les pro­té­ger.(2) »

Nous qui pra­ti­quons le cyclisme comme sport, nous ne pou­vons nous conten­ter de « pistes » cyclables sou­vent mal entre­te­nues, donc dan­ge­reuses. Celles-ci cumulent les déchets des routes et de la végé­ta­tion. Elles sont cri­blées de trous, abî­mées par le temps et par les racines, et servent ici et là de par­king pirate. Composées de sec­tions inter­mit­tentes, entre­cou­pées de bor­dures et de trous, quand elles ne se dis­solvent pas sou­dain dans la pam­pa. Le dan­ger est encore plus grand quand les pistes cyclables ont l’apparence d’un trot­toir et mélangent dans un même cou­loir cyclistes et pié­tons, dont le dif­fé­ren­tiel de vitesse est net­te­ment plus impor­tant qu’entre le cycliste et l’automobiliste. Bref, ces infra­struc­tures appa­raissent rare­ment adap­tées au vélo de course, parce que s’y dépla­cer à grande vitesse est dan­ge­reux, autant pour les cyclistes que pour les autres usa­gers. Ce qui entraîne encore un sur­croît d’agressivité. « La vio­lence moto­ri­sée que je subis est sou­vent liée à ces pistes cyclables inadap­tées que je n’emprunte pas, et à la non-com­pré­hen­sion de ce choix par les auto­mo­bi­listes qui me croisent », nous confiait il y a peu une jeune coureuse.

Nous vou­lons pou­voir rou­ler sur de vraies routes en bon état, nous y sen­tir à notre place.

Pour toutes ces rai­sons, nous vou­lons pou­voir rou­ler sur de vraies routes en bon état, nous y sen­tir à notre place, en com­plète sécu­ri­té. Nous deman­dons que la dis­tance mini­male de 1,5 mètre, fixée dans le code de la route pour tout dépas­se­ment par une voi­ture, soit enfin res­pec­tée. Y a‑t-il déjà eu, en Wallonie, ne fût-ce qu’un seul pro­cès-ver­bal don­né pour cette infrac­tion ? À quoi cela sert-il d’édicter une règle si elle n’est sui­vie d’aucun effet ? De la même manière, nous deman­dons que les zones 30, 50 et 70 soient concrè­te­ment appli­quées, par des contrôles et radars plus fré­quents au besoin. La « marge de tolé­rance » trop sou­vent octroyée par les pou­voirs publics est en fait une tolé­rance à l’agressivité et à la mise en dan­ger d’autrui. Peut-être est-il temps de s’inspirer de la Suisse, où une for­ma­tion au par­tage de la route est inté­grée au per­mis de conduire.

Interrogés sur leur action en faveur du vélo, les res­pon­sables poli­tiques clament sou­vent : « On a déblo­qué tel bud­get, on va créer telle infra­struc­ture. » Ce sont des pas dans la bonne direc­tion. Mais l’honnêteté oblige à poser cette ques­tion : est-ce de nature à convaincre un seul parent de lais­ser son enfant rou­ler seul sur la route, pour une boucle de deux heures, un jour de semaine en ren­trant de l’école, ou un same­di matin ? La réponse est non.

Les études sur la bio­di­ver­si­té mettent en évi­dence la chute dra­ma­tique du nombre de moi­neaux dans nos contrées. L’une des causes prin­ci­pales serait la constante pol­lu­tion sonore qui affecte les villes et les cam­pagnes. Quand il y a trop de bruit, le moi­neau dis­pa­raît… sans bruit. La même rela­tion de cause à effet s’applique aux jeunes cou­reurs et cou­reuses : quand l’environnement est hos­tile, quand il y a trop de tra­fic, trop de dan­ger, ils dis­pa­raissent de nos routes, sans qu’on s’en rende compte.

Au début de la sai­son 2022, il n’y avait en Wallonie que treize cou­reurs pro­fes­sion­nels, dont huit à l’échelon World Tour, la plus haute caté­go­rie inter­na­tio­nale (3). D’autres terres de cyclisme affichent une den­si­té net­te­ment supé­rieure, non sans lien avec la consi­dé­ra­tion dont y jouissent les cyclistes sur leurs routes d’entraînement. Le Pays basque espa­gnol et la Navarre, pour une popu­la­tion infé­rieure à la Wallonie (2,8 mil­lions d’habitants), tota­lisent qua­rante-deux cou­reurs pro­fes­sion­nels (dont neuf World Tour). Le Danemark abrite quant à lui trente-quatre pro­fes­sion­nels (dont vingt-six World Tour).

C’est trop facile de pleu­rer quand il y a un mort ou de condam­ner les chauf­fards en tant qu’individus déviants.

Nous sommes plu­sieurs à ché­rir le sou­ve­nir de Patrick Gaudy, l’un des rares fran­co­phones à avoir per­cé dans le cyclo-cross de haut niveau, fau­ché mor­tel­le­ment par un camion à Mont-Saint-Guibert en mars 2015. Il avait 38 ans. « Un mal­heu­reux concours de cir­cons­tances », expli­qua alors le chef de la zone de police.

Dans la région de Namur, le décès de Sarah Balthazart est encore dans toutes les mémoires. Mère de trois enfants, direc­trice d’une école mater­nelle, cette cycliste de 41 ans a été ren­ver­sée le 15 juin der­nier entre Suarlée et Temploux. Série noire : deux jours plus tôt, un autre cycliste, Jacques Riga, était mor­tel­le­ment fau­ché à Bioul. 

Pensées aus­si pour Guido Troonen, 74 ans, tué le 30 décembre 2021 à Fernelmont par une camion­nette de livrai­son. Ce cycliste che­vron­né vou­lait ter­mi­ner l’année en beau­té, c’est-à-dire par une der­nière sor­tie à vélo. Sa fille Séverine a publié cet hom­mage sur Facebook : « Tu sillon­nais avec tel­le­ment de plai­sir toute notre région… Ce vélo était deve­nu ton meilleur ami depuis si long­temps. Cette après-midi, tu as fini ta belle échap­pée sur cette route, fau­ché… Papa, pour­quoi toi ? » 

Hélas, nous pour­rions citer bien d’autres noms encore. Après chaque drame, les res­pon­sables poli­tiques expriment leur com­pas­sion. Mais il est trop facile de pleu­rer quand il y a un mort ou de condam­ner les chauf­fards en tant qu’individus déviants. Il y a en Wallonie tout un contexte qui sur­va­lo­rise la vitesse auto­mo­bile, qui tolère la délin­quance au volant, tout un cli­mat qui dis­suade trop de femmes et trop d’hommes de s’adonner au cyclisme.

Pour s’extraire de ce bour­bier, évi­ter d’autres « mal­heu­reux concours de cir­cons­tances », la Wallonie a besoin d’un plan glo­bal. Pas seule­ment des infra­struc­tures des­ti­nées aux tra­jets courts dans les centres urbains, ou des pistes cyclables iso­lées, mais d’une révo­lu­tion men­tale pour que l’ensemble du réseau rou­tier devienne plei­ne­ment acces­sible aux cyclistes. Ce plan, nous sug­gé­rons de l’appeler « plan Scieur », pour sou­li­gner les conver­gences entre le cyclisme comme sport et le vélo comme mode de déplacement.

Pourquoi « plan Scieur » ? Pour sou­li­gner les conver­gences entre le cyclisme comme sport et le vélo comme mode de déplacement.

En atten­dant que les choses changent, pra­ti­quer le cyclisme en Wallonie res­te­ra faire l’expérience de la vul­né­ra­bi­li­té. À vélo sur la route, on est certes sou­mis aux aléas de la météo, expo­sé au vent, à la pluie, au froid, à la cani­cule. Mais on est d’abord en proie à la vio­lence moto­ri­sée, à la mer­ci des voi­tures et des motos.

Cela ne nous décou­ra­ge­ra pas de rou­ler, car nous aimons trop le cyclisme pour recu­ler devant le dan­ger. Mais nous ne pou­vons plus sup­por­ter que le sta­tut de cycliste conduise, en Wallonie, si sou­vent à celui de victime.

#planScieur

Premiers signa­taires

  • Arnaud De Lie, cou­reur pro­fes­sion­nel – équipe Lotto-Soudal
  • Sylvain Moniquet, cou­reur pro­fes­sion­nel – équipe Lotto-Soudal
  • Kévin Van Melsen, cou­reur pro­fes­sion­nel – équipe Intermarché-Wanty
  • Lionel Taminiaux, cou­reur pro­fes­sion­nel – équipe Alpecin
  • Ludivine Henrion, mana­ger équipe Bingoal Ladies, cham­pionne de Belgique élite 2009 et 2011
  • Alyssa Lurquin, vice-cham­pionne de Belgique VTT mara­thon 2022
  • Félix Dopchie, cou­reur pro­fes­sion­nel – équipe Bingoal WB
  • Ludovic Capelle, ex-cou­reur pro, cham­pion de Belgique 2001
  • Pascal Hossay, vice-cham­pion de Belgique VTT espoir en 2009
  • Gilles Stevens, cou­reur élite 3 – La Flamme Rouge Café racers
  • +20 autres cou­reurs de l’équipe La Flamme Rouge Café racers
  • Dominique Rongvaux, cou­reur ama­teur – Brussels Big Brackets
  • Laurent Haulotte, jour­na­liste RTL et cou­reur ama­teur – Brussels Big Brackets
  • Olivia de Briey, fini­sher Pan Celtic Race 2022, fon­da­trice BikePacker asbl
  • Margaux Guyot, jour­na­liste et bikepackeuse
  • Sandrine Derwaux, cou­reuse élite – équipe Bingoal Ladies
  • Victor Alexandre, tri­ath­lète élite
  • Julien Stassen, ex-cou­reur pro (2013 – 2018)
  • Bernard Perrier, co-gérant du Mur cof­fee & cycling (Huy)
  • Nicolas Bonomi, tri­ath­lète ama­teur et ex-cou­reur junior
  • André Daschelet, cyclosportif
  • Maxime Bourguignon, ex-cou­reur élite
  • Axel De Lie, cou­reur élite 3 – Cyclo-club Chevigny
  • Alexis Maroy, secré­taire de rédac­tion de Wilfried, bike­pa­cker
  • François Brabant, rédac­teur en chef de Wilfried, ex-cou­reur ama­teur ECW et Challenge Bicyclic
  • Quentin Jardon, rédac­teur en chef adjoint de Wilfried, maillot bleu BCF sai­son 2020

 

Vous souhaitez donner votre voix et soutenir le #planScieur ? Signez dès maintenant la pétition sur Change.org

 

[1] La der­nière enquête pré­cise sur la mobi­li­té des Belges a été réa­li­sée par le SPF Mobilité et Transport au cours de l’année 2017 et publiée en 2019. Elle indi­quait que 87 % du trans­port de per­sonnes en Wallonie s’effectuait par la route, 7 % en trans­port col­lec­tif rou­tier et 5,9 % en train. L’indicateur pris en compte était l’unité voyageur/km cor­res­pon­dant au dépla­ce­ment d’une per­sonne sur une dis­tance d’un kilo­mètre. En ce qui concerne les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail, 1,6 % d’entre eux s’effectuaient à vélo.

[2] Cité dans le maga­zine Imagine, en 2018.

[ 3] Chiffres à lire à titre indi­ca­tif. Nous pre­nons en compte les cou­reurs du World Tour domi­ci­liés en Wallonie, ce qui inclut les néer­lan­do­phones Cian Uijtdebroeks (qui vit à Hannut) et Louis Vervaeke (à Braives), ain­si que le Français Matis Louvel (à Liège), mais pas Philippe Gilbert (ori­gi­naire de Remouchamps, habi­tant à Monaco). Quoi qu’il en soit, on pour­ra s’étonner de ce contin­gent assez res­treint, sur­tout au regard du fait que le cir­cuit World Tour compte pas moins de trois équipes belges, pour une seule espa­gnole et aucune danoise.