De la Wallonie, où Gwendolyn Rutten a vécu plusieurs années, elle apprécie la générosité, la franchise de Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez, l’égalité des chances offerte sans complexe. Sur la Flandre, où elle est née et où elle vit, elle jette en revanche un œil de plus en plus vigilant depuis un certain dimanche noir de 2019. Gwendolyn Rutten vient de raccrocher après huit années à la présidence du parti libéral flamand. Le temps l’a adoucie, dit-elle. Elle se sent sociale, rêve d’une politique qui ose le doute et l’honnêteté, veut exercer un pouvoir affranchi de tout titre. L’amorce d’une renaissance?
L’entretien a quelque chose d’irréel. On doit soi-même parfois se rappeler qu’on est en train de bosser, se reconcentrer. Ne pas se laisser distraire par un insecte bourdonnant passant devant l’interlocutrice. Ne pas se plonger dans les conifères où pointe le clocher de Notre-Dame d’Aarschot, décor virtuel digne d’un plateau télé qui s’étale derrière Gwendolyn Rutten façon « écran vert ».
Ne pas non plus se laisser tenter par un rapide coup d’œil au dictionnaire en ligne pour ce mot néerlandais qu’on a sur le bout de la langue. Casque de gamer ou de téléopérateur sur les oreilles, d’où s’étire un micro jusqu’à la bouche, la déjà ex-présidente du parti libéral flamand Open VLD se plie à l’exercice de l’interview confession depuis ce que l’on imagine être sa terrasse (dans nos errements virtuels, lorsque le décor aarschotois a eu quelques bugs, on a cru voir du mobilier de jardin violet, puis quelques zéphyrs sont venus crachoter jusqu’à nos oreilles). La distance est de mise. Kilométrique dans ce cas. Crise du coronavirus oblige. Agendas compliqués aussi, en cette période de déconfinement phase à phase.
Mais la virtualité des échanges n’émousse en rien leur authenticité. Et même elle la renforce. Elle donne à l’interview, souvent si formelle, des airs de huis-clos, de confessionnal, de tête-à-tête hors du temps et de l’espace. Devant son paysage pixélisé, Gwendolyn Rutten se livre. Elle évoque son parti et le libéralisme, ses doutes et ses peurs, ses espoirs pour la Flandre et la Belgique, sa réalité de femme et les droits qu’il leur faut défendre, encore et toujours. Sans détour. Avec quelques mots fleuris empruntés à la langue de Shakespeare.
— En pleine gestion d’une pandémie sans précédent, après plus d’un an de négociations vaines pour former un gouvernement… C’est un drôle de contexte pour quitter la présidence d’un parti.
Je savais dès le départ que je voulais m’en tenir à deux mandats. C’est un principe sain en démocratie. D’ailleurs, pour moi, cela devrait être la règle. Bien évidemment, je n’avais jamais imaginé que nous serions en pleine crise du coronavirus… Mais bon, il y a toujours une bonne raison pour ne pas le faire. Et je suis, de tout mon être, une démocrate. En tant que telle, il faut fixer cette limite. Car présidente de parti en Belgique, ça vous donne beaucoup de pouvoir.
— Vous êtes-vous sentie puissante pendant ces huit années à la tête de l’Open VLD ?
Le pouvoir est souvent perçu comme quelque chose de mal. C’est dommage.
Si on veut améliorer la société et y insuffler sa vision, le pouvoir est nécessaire. En Belgique, le président de parti est quasiment le seul acteur du paysage politique à avoir un regard sur tous les niveaux de pouvoir. Il est celui qui surplombe le tout, qui a une vue d’ensemble et qui peut maintenir une cohésion entre des niveaux fonctionnant chacun de manière étanche. Mais en soi, autant de pouvoir entre si peu de mains, ce n’est pas bon. Il y a en Belgique une poignée de gens — les présidents de parti — qui, entre eux, définissent les directives et décident de ce qui se passe dans le pays. Ce pouvoir ne fait pas l’objet d’un contrôle démocratique. Il ne dépend que des affiliés des partis. Il serait utile de limiter ce pouvoir en accordant un plus grand rôle aux groupes parlementaires, pour que les pouvoirs et les contre-pouvoirs s’équilibrent mieux.
— En tant que femme au pouvoir, avez-vous dû davantage faire vos preuves qu’un homme ? Vous êtes-vous sentie plus vite jugée ?
Oui, dans tous les domaines. En tant que responsable politique, on se sait exposée aux critiques. Mais il y a deux poids, deux mesures. Les attaques contre Maggie De Block, Laurette Onkelinx ou Vera Dua ont été extrêmement dures et personnelles. Stéréotypées. Les hommes sont intelligents, stratèges, charmants… Les femmes ? Soit trop douces, soit trop dures. Soit une bitch, soit hystérique. Qui plus est, nous sommes jugées sur notre manière de parler, notre apparence… Pourtant, même si récemment un certain nombre d’hommes plus beaux sont entrés en scène, l’histoire de la politique belge n’est pas particulièrement une histoire d’hommes beaux, mais plutôt d’hommes moches. D’une laideur qu’on ne permettrait pas aux femmes
— Avez-vous ressenti l’injonction d’être belle en tant que femme politique ?
Oui. Je fais attention, j’aime prendre soin de moi. Mais j’étais tout de même déçue si, après une interview ou un débat, la plupart des réactions portaient sur mon nez ou mes lunettes ou mes cheveux, et non sur le contenu.
— Pensez-vous qu’il y ait une manière féminine de faire de la politique ?
Oui, mais elle n’est pas le propre des femmes. Mon expérience, c’est que les femmes en politique ne sont certainement pas des mauviettes. Mais elles sont sans doute plus tournées vers la recherche de solutions, beaucoup moins braquées sur leur égo, sur leur propre image, des facteurs nécessaires pour atteindre le plus haut niveau en politique. J’ai aussi remarqué — et ça ne me fait pas plaisir de dire ça — qu’une femme avec du pouvoir, ça continue de poser un problème à certains. Une partie du monde n’est pas encore prête.
En particulier dans les partis conservateurs, qui gardent une image fantasmée du chef autoritaire, du père sévère, du manager aux gros bras qui dicte sa loi. Aujourd’hui, le modèle du mâle alpha, du gorille qui se frappe la poitrine, revient en force. Le souci de la vérité, la recherche de compromis sont perçus comme des signes de faiblesse. On l’a vu avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et de Boris Johnson. Cela m’inquiète. Ce n’est pas comme ça que l’on aborde les choses en démocratie. Voudriez-vous vous marier avec quelqu’un qui ne reconnaît jamais ses erreurs, qui a un comportement de brute, qui ment et qui se vante en permanence ? Des personnes comme ça, on n’en voudrait pas chez soi ou parmi ses amis, mais on les laisse gérer des États.
— La politique des mâles alpha est-elle une menace pour les droits des femmes ?
L’émancipation des femmes, et en particulier la pilule et la contraception qui permettent d’être maîtresse de son corps, est la première chose que les forces conservatrices remettent en question. Aux États-Unis, le droit à l’avortement a cessé d’être un acquis sûr. Il s’agit d’ailleurs de la première décision de Donald Trump à son arrivée au pouvoir : abroger le soutien aux programmes de contraception dans les pays en voie de développement.
— Comment réagir face à cette politique machiste ?
Ne pas abandonner le pouvoir, maintenant moins que jamais. Le danger existe… Lorsque la situation est critique, que les problèmes semblent presque insolubles, c’est souvent le moment où nous, les femmes, obtenons une chance. Mais une fois qu’apparaît la perspective d’un nouvel essor, les hommes reprennent le dessus et on voit alors que l’embellie n’était qu’une petite couche de vernis. Les femmes doivent prendre le pouvoir. Trop souvent, elles jouent à l’arrière-plan. Je ne blâme aucun homme, mais on doit se rendre compte que pour accomplir de grandes choses et changer la donne, ce sont les postes de pouvoir qui comptent, et pas seulement l’influence discrète en coulisses ou les seconds rôles. C’est pour cela qu’il faut, dans un gouvernement, autant d’hommes que de femmes. C’est pour cela que les fonctions de président de parti, de Premier ministre et de vice-Premier ministre sont si cruciales. Nous devons arrêter de penser que les femmes peuvent seulement avoir un avis sur les questions « de femmes », comme la santé, le bien-être, l’égalité des chances. Les finances et le budget ne doivent pas être des questions d’hommes, des portefeuilles masculins. Je suis contente que de nombreuses petites filles grandissent en sachant qu’une femme peut être la Première ministre de notre pays. Dans une période très difficile, qui plus est. Avec une attitude imprégnée de sagesse et de modernité. Sophie Wilmès n’est pas de ces leaders qui cherchent à tout prix à se valoriser. Lorsqu’elle fait une erreur, elle le reconnaît et elle avance. Je trouve bête et scandaleux que l’on laisse entendre dans le milieu politique que ce gouvernement actuel serait une équipe B.
« Act local and think global »
— Au printemps 2019, à quelques jours des élections fédérales, vous aviez déclaré être prête à devenir Première ministre. Lorsque vous voyez Sophie Wilmès à la barre, au Conseil national de sécurité, en train de gérer la crise, et après l’échec de la piste d’une coalition arc-en-ciel, ne vous dites-vous pas :
cela aurait pu être moi ?
Quand Charles Michel a quitté le gouvernement, j’ai simplement dit qu’il était temps pour la Belgique d’avoir enfin une Première ministre ! Et j’ai répondu honnêtement oui lorsqu’on m’a demandé si j’accepterais de l’être. Je peux vous dire que je n’ai pas assez de mes deux mains pour compter le nombre de personnes qui rêvent de devenir Premier ministre mais qui disent le contraire en interview. Qu’est-ce qui est le mieux ? Être honnête et reconnaître ses ambitions ? Ou être hypocrite ? J’apprécie au moins l’honnêteté de Georges-Louis Bouchez et de Paul Magnette à ce sujet. Nous avons besoin de leadership affirmé. Nous avons besoin de personnes qui ont l’ambition de donner le meilleur d’elles-mêmes. Vous imaginez les grandes figures de l’histoire dire « Non, non, merci » ? Ça n’a pas de sens ! Mais apparemment, on ne peut pas dire ces choses-là. En tant que femme, encore moins ! Nous devons être soumises…
— Le doute est-il trop absent du monde politique ?
Si les dirigeants sont honnêtes, ils doivent reconnaître qu’ils doutent. La politique n’est pas une science exacte. Il s’agit de la vie en communauté, d’être humaines. C’est un art délicat pour lequel il n’existe pas de mode d’emploi. Énormément de dirigeants doutent beaucoup. Nous sommes humains. Je connais peu de personnes qui, au cours de leur vie, n’ont jamais changé d’avis sur certaines choses, parce qu’ils ont vieilli, parce qu’ils ont eu des enfants ou connu des échecs. Ces choses-là déterminent qui l’on est en tant que personne et influencent ainsi la manière dont on regarde le monde. Mais en politique, pour de nombreuses raisons, on doit avoir l’air de ne jamais douter, rester toujours à 100 % cohérent, garder le même cap, ne jamais changer. C’est bête.
— Que représente pour vous le libéralisme ?
Le libéralisme est pour moi a way of life, une façon de vivre, une manière d’être au monde. Le libéralisme — et c’est très actuel — offre beaucoup de liberté et d’opportunités aux gens mais il leur demande aussi beaucoup de responsabilité et de tolérance en retour. Parce que si chacun veut faire des choix pour sa propre vie, il faut accepter que ce soit le cas aussi pour les autres. Je suis donc plus que jamais convaincue de la nécessité du libéralisme pour résoudre les enjeux de notre époque. Ce qui est beau avec la politique, c’est qu’on n’a besoin de pas grand-chose pour en faire. Avec un smartphone, chacun peut partager son avis, sa vision et ses idées. Sans parti, sans titre. Moi-même, je ne vais pas rester pieds et poings liés à un titre. Ni même à un parti.
— Vous pourriez quitter l’Open VLD ? On a l’impression que votre libéralisme a évolué au fil des ans, que vous êtes devenue de plus en plus progressiste, que votre vision économique s’est recentrée.
Je suis une libérale convaincue et je le resterai toujours. Cela dit, au fil des ans, à travers la présidence du parti ou le mayorat d’Aarschot, je me suis adoucie. Je suis devenue moins doctrinaire. Cela s’est traduit chez moi par une vision plus inclusive… Je veux dire que j’ai reconnu la réalité de notre société qui n’est plus seulement blanche et masculine. La question n’est pas d’être pour ou contre. C’est simplement la réalité. La société est diverse. Énormément de gens ont la vie dure. Je ne vois pas comment on pourrait nier l’importance de la dimension sociale. En tant que bourgmestre, on voit des personnes qui n’ont pas eu nos propres chances. L’égalité des chances est devenue une valeur de plus en plus importante à mes yeux.
— De là à regretter certaines positions tenues par le passé ?
Le gouvernement précédent, sous Charles Michel, était globalement de droite. J’en suis contente, nous avons créé 360 000 emplois, c’était nécessaire à ce moment-là et je défends cette politique. Mais un programme positif une année ne doit pas nécessairement être appliqué l’année d’après. Pour moi, il faudrait de nouveau conclure un pacte d’envergure entre les libéraux, qui sont capables de voir rapidement les changements à venir dans la société, et les socialistes, qui font le maximum pour que personne ne reste sur le côté. Si l’on parvient à combiner ces deux éléments et à les appliquer de manière durable, on aura un bon gouvernement et une bonne manière de sortir de la crise du coronavirus.
— Vous plaidez pour la formation d’une coalition arc-en-ciel…
Si cela n’avait tenu qu’à moi, il y aurait un gouvernement depuis longtemps.
— Comment cela ?
J’ai pris des risques lors de la mission d’information de Paul Magnette. J’estimais, déjà avant la crise du coronavirus, qu’un nouvel axe social-libéral, avec une nouvelle vision économique et un ensemble de mesures sociales, se justifiait pour l’intérêt collectif. J’ai été très étonnée que le rapport de Paul Magnette rencontre autant d’oppositions, alors que ce n’était qu’une note de départ sur laquelle nous devions nous baser pour dire si oui ou non nous allions négocier ensemble. D’autant plus étonnée que dans le rapport de Bart De Wever pour la formation du gouvernement flamand, à l’été 2019, il n’y avait rien de libéral. C’était une note qui avait pour seul but de séduire le Vlaams Belang et d’apaiser les anciens électeurs N‑VA qui avaient basculé de l’autre côté. Nous avons pourtant entamé les négociations, avec pour issue la formation d’un gouvernement régional avec la N‑VA. Je m’étonne donc qu’au fédéral, on n’ait même pas pu parler avec les socialistes.
— Cette opposition ne venait-elle aussi de votre propre parti ?
Oui, c’est ce que j’ai également ressenti. Mais avec mon expérience, j’avais assez de confiance en moi et en mon entourage pour croire qu’on parviendrait à mener à bien ces négociations. J’étais sûre que cela pouvait marcher, même s’il y avait des réticences au sein de mon parti et des autres. Mais bon, ce n’était pas le bon moment…
« On ne peut pas faire de compromis avec un parti qui ne prend pas les valeurs, les libertés et les principes de notre société comme base de travail .»
— Vous avez habité en Wallonie durant plusieurs années, à Beauvechain, lorsque vous étiez fonctionnaire européenne tandis que votre compagnon travaillait à Gembloux. Qu’avez vous appris sur la Belgique ?
Que la Belgique francophone est plus généreuse dans les chances qu’elle donne aux gens. Ce qui est plaisant, c’est que vous avez beaucoup moins de complexes par rapport à ça. Je pense que vous sous-estimez à quel point la discrimination, l’aversion pour tout ce qui est différent est profondément ancrée en Flandre. Il reste beaucoup à faire en matière d’égalité des chances pour les femmes, mais aussi pour toutes les personnes qui sont nées avec un autre bagage, qui ont des origines liées à la migration, qui paraissent différentes, qui ont un autre nom. Ce n’est pas en courant après le Vlaams Belang qu’on améliorera quoi que ce soit. Même si leur programme et leur discours officiel maintiennent l’ambiguïté, ce qui ressort de tout ce que font et disent leurs dirigeants, c’est qu’ils conçoivent le rôle des femmes de manière très traditionnelle et que les personnes d’origine étrangère leur posent problème. Récemment, le député Dries Van Langenhove a eu une attitude de body shaming envers une fille sur les réseaux sociaux (lui conseillant de se passer de l’un ou l’autre barbecue même si la météo y était favorable, ndlr). C’est pour cela que j’ai très clairement dit en tant que présidente que je ne travaillerais jamais avec le Vlaams Belang.
— Pourtant, d’après une étude de l’université de Gand en septembre 2016, plus de la moitié des militants de l’Open VLD seraient prêts à faire sauter le cordon sanitaire. Le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, se vante lui-même des bons rapports que son parti entretient avec des nombreux élus libéraux sur le plan local.
Je ne suis pas d’accord. En octobre 2018, aux élections communales, le Vlaams Belang a progressé dans presque toutes les communes. Malgré ça, nulle part le cordon sanitaire n’a été rompu. En mai 2019, le soir des élections, j’ai félicité le parti gagnant, mais j’ai immédiatement dit que nous n’allions pas travailler ensemble. Parce que leurs valeurs et les nôtres se contredisent. Le Vlaams Belang n’accepte pas les principes démocratiques, il considère qu’il y a au moins deux catégories de personnes et il s’oppose à l’égalité des chances. On ne peut pas faire de compromis avec un parti qui ne prend pas les valeurs, les libertés et les principes de notre société comme base de travail. Pourquoi prendrions-nous le risque de négocier avec ses dirigeants dès lors qu’ils veulent détruire la démocratie elle-même ?
— La N‑VA, elle, a négocié à l’été 2019 pendant sept semaines avec le Vlaams Belang.
Par le passé, Bart De Wever a pourtant déclaré qu’il y avait une muraille de Chine entre la N‑VA et le Vlaams Belang. C’est une position que j’ai toujours appréciée chez lui. Mais, après les élections de mai 2019, la N‑VA a complètement changé de ligne. Le parti a tenu un tout autre discours, disant qu’il fallait donner une chance au Vlaams Belang, que c’était la démocratie. Tout à coup, c’était comme si les citoyens avaient choisi l’indépendance de la Flandre ! Bullshit ! Excusez-moi, mais les élections n’avaient rien à voir avec l’indépendance de la Flandre. Rien du tout.
— De quoi la Belgique a‑t-elle besoin pour s’assurer un avenir stable ?
J’ai participé sous Elio Di Rupo à la sixième réforme de l’État, dont l’unique but était de prouver à la N‑VA qu’une réforme de l’État était possible. L’unique logique était, comme disait Wouter Beke (CD&V), de « ferrer un gros poisson ». Logique politicienne… Les réformes de l’État en Belgique sont à sens unique : plus pour les régions et les communautés, moins pour le fédéral. Chacune d’entre elles — et c’est choquant même de le dire — est construite comme une étape vers l’indépendance, porte en elle l’idée d’une séparation finale.
Sans qu’il y ait une véritable architecture visant à faire tourner notre pays. Est-ce que cela fonctionne bien comme ça ? Est-ce compréhensible pour le citoyen ? Est-ce mieux pour les entreprises et les gens qui paient des impôts ? Pour moi, la septième réforme de l’État en 2024 sera une réforme à double sens. Certaines compétences retourneront au niveau fédéral, d’autres redescendront au niveau régional. De plus, selon moi — et je ne sais si c’est à moi de le dire parce que c’est toujours très sensible —, il faudrait quand même organiser les choses de manière plus efficace du côté francophone.
— C’est-à-dire ?
En Flandre, la communauté et la région forment une seule et même entité, avec un seul gouvernement. Je sais que du côté francophone, la situation s’est déjà améliorée mais il reste du travail à faire. C’est aussi pour ça qu’on a besoin d’une vision. Où veut-on aller ? Vers la séparation ? La réalité, c’est qu’on ne peut pas séparer le pays, avec Bruxelles qui est une ville siamoise, un corps commun pour deux têtes, flamande et francophone. Il nous faut une nouvelle vision qui sera, selon moi, composée de quatre piliers assez clairs, à savoir la Flandre, Bruxelles, la Wallonie et une partie germanophone, mais sans la distinction un peu artificielle des régions et des communautés. Pour le reste, un niveau fédéral qui fonctionne, quoi.
— Quelles compétences transféreriez-vous ?
Par exemple, l’emploi devrait être au niveau régional, le plus proche possible des gens. C’est une fausse bonne idée de croire que la même approche convient à tous. Mais pour moi, il vaut mieux prendre du temps pour réfléchir, élaborer une vision claire pour le futur du pays, puis laisser le citoyen s’exprimer en 2024… Et en 2030, la Belgique existera encore et pourra célébrer ses deux siècles d’indépendance avec une grande fête et une infrastructure moderne.
— Quand vous regardez en arrière, quelle est la plus grande ombre du tableau ?
J’ai surtout du mal avec ce sentiment selon lequel on aurait pu voir les choses venir. Je veux parler de la chute du gouvernement fédéral en décembre 2018. C’était assez simple : la N‑VA n’avait pas obtenu aux élections communales d’octobre les résultats qu’elle espérait et elle s’est servie du gouvernement pour son propre agenda. Sinon, un prétexte comme le pacte de Marrakech n’aurait jamais mené à la chute d’un gouvernement.
C’est totalement incompréhensible. C’est un accord des Nations unies, il est non contraignant, il y avait trente façons de résoudre ce problème politiquement…J’ai appelé Bart De Wever, je lui ai dit : « Allez, il doit bien y avoir une solution, on peut aller au bout ensemble, on est à six mois des élections ! » Mais il était sourd et aveugle à toute suggestion. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun doute. L’issue ne dépendait pas des autres partis. Le choix était plié à l’avance, la N‑VA avait décidé de quitter le gouvernement. Point.
— On ne peut pas dire qu’elle en ait été récompensée par les électeurs, six mois plus tard.
Mon parti en a fait l’amère expérience lorsqu’Alexander De Croo a débranché la prise du gouvernement autour des questions communautaires en 2010. Si on débranche la prise sur le thème d’un autre parti, cet autre parti gagne. Ce pressentiment ne m’a pas quitté tout au long de la campagne électorale : la N‑VA débranche la prise sur le pacte de Marrakech, alors nous nous dirigeons à coup sûr vers un nouveau dimanche noir en Flandre. Je ne sais pas comment l’expliquer. C’était un sentiment profond. Et au mois de mai, on a vu le triomphe du Vlaams Belang.
— Quel sera votre rôle, désormais ?
Je serai bourgmestre avant tout. Ensuite, je veux retrouver les enjeux internationaux. J’ai étudié la politique internationale, je suis fonctionnaire européenne mais ces dernières années, je ne me suis quasi occupée que de la Flandre et de la Belgique. Act local and think global, voilà ce que je veux faire.