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Frank Robben, l’omniscience derrière le contact-tracing

Belgian Big Brother

Le traçage du coronavirus provoque un énorme malaise, mais d’où provient-il? On remonte les fils, et ils conduisent tous à la même pelote : un certain Frank Robben. Le serviteur de l’État en charge de la circulation des données privées de santé et de sécurité sociale de tous les citoyens belges. Un génie de l’informatique présenté comme totalitaire, anti-francophone, plus puissant que les ministres, titulaire d’un mandat illégal et sujet à quantité de conflits d’intérêts. Incontournable dans le dispositif du «contact tracing», il a mis en place un système digne d’un État policier, d’après les témoignages recueillis.

La vie de Frank Robben se déroule dans un bureau de 30 m². Une table de réunion, des chaises recou­vertes d’un tis­su en coton rouge, une hor­loge déré­glée, des murs sans déco­ra­tion ; on dit qu’il dis­si­mule aus­si un lit de for­tune, et qu’il s’est déjà fait sur­prendre en pei­gnoir juste avant la pre­mière réunion du jour. L’horizon de Frank Robben est bor­né par le quai de Willebroeck, où la tour UP-site s’est adju­gé le pay­sage du nord de Bruxelles, le bas­sin Vergote qui est comme le bour­re­let du canal, les indus­tries mortes sur l’autre rive et, au-delà de l’avenue du Port, les gru­tiers à la manœuvre dans la zone de Tour et Taxis. Les jour­nées de Frank Robben com­mencent et s’achèvent à 5 heures du matin. Le site web de Frank Robben est en anglais, son C.V. dis­po­nible en quatre langues déploie un éven­tail d’acronymes, BCSS, CVP, APD, CSI, Smals, e‑Health : autant d’entités qui portent sa marque, beau­coup diront sa poigne. Les repas de Frank Robben se prennent rare­ment au res­tau­rant, de pré­fé­rence en réunion ou devant l’ordinateur ; des sand­wichs mous satis­font son appé­tit. La garde-robe de Frank Robben est légère comme une plume : quatre ou cinq che­mises, la moi­tié à manches courtes, un mar­cel par-des­sous. Le salaire de Frank Robben, en revanche, est l’un des plus gras dans la fonc­tion publique, à peine infé­rieur à celui du CEO de Proximus ou du gou­ver­neur de la Banque natio­nale. Mais l’argent n’intéresse guère Frank Robben, même pour qui assure la ges­tion de près d’un demi-mil­liard d’euros publics par an. Tous ceux qui le connaissent, amis ou enne­mis, s’entendent sur ce point.

Non, ce qui anime Frank Robben, c’est le pou­voir. Être le poten­tat ombra­geux d’un royaume, celui des don­nées pri­vées des citoyens belges en matière de sécu­ri­té sociale et de san­té publique ; impé­né­trable coffre à ren­sei­gne­ments. Au fil des ans, Frank Robben est deve­nu l’agent de cir­cu­la­tion de presque tous les fichiers de l’État. Le coro­na­vi­rus vient de lui don­ner l’occasion d’accroître encore son assise dans des pro­por­tions consi­dé­rables. Muriel Gerkens, dépu­tée fédé­rale Ecolo de 1999 à 2018, parle de « l’accomplissement final du sys­tème de Robben », comme on par­le­rait du sys­tème de Bismarck.

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