Le portrait-enquête consacré à Claude Eerdekens paru dans le dernier numéro de Wilfried suscite de nombreuses réactions. Certaines d’entre elles nous amènent à réagir et à apporter quelques précisions importantes.
L’article est le résultat d’un travail de plusieurs mois réalisé par la journaliste Mélanie De Groote. Pour son enquête, Mélanie a rencontré 33 témoins. Il y a parmi eux des proches et des moins proches du bourgmestre d’Andenne : membre de sa famille, ami, ancienne ministre, dirigeant actuel du PS, fonctionnaires communaux, élus andennais… Loin de se résumer à trois allégations recueillies à la va-vite, le texte couvre dix pages de notre magazine.
Ce portrait-enquête retrace le parcours de Claude Eerdekens. Il dresse les contours de sa personnalité, établit son bilan politique, des accomplissements incontestables (le développement économique d’Andenne, une gestion publique souvent rigoureuse). L’article révèle aussi une facette plus sombre du personnage : des emportements effrayants, un goût pour l’insulte, une tendance à l’intimidation dont il use face à quiconque se place en travers de son chemin. Quels mots user pour qualifier ces traits-là ? Jusqu’il y a peu, on aurait parlé d’un caractère « sanguin », « autoritaire », « colérique ». Mais les curseurs ont bougé, et ce qui était admis il y a trente ans ne l’est plus, y compris dans le monde politique, où une certaine dureté est pourtant la norme. Certaines attitudes de Claude Eerdekens sont à présent jugées « hors-limites ». Au point que les témoignages patiemment récoltés par Mélanie De Groote pour Wilfried accusent le bourgmestre d’Andenne de harcèlement moral. Les attitudes sexistes du bourgmestre, elles non plus, ne passent plus.
Comme on pouvait s’y attendre, Claude Eerdekens lui-même n’a pas manqué de réagir à notre enquête. Dans un plaidoyer pro domo diffusé sur Facebook, le bourgmestre a tenu les propos suivants : « Il y a quelques jours un périodique a dépassé les bornes. Tous ces mensonges n’ont qu’un seul but, m’abattre à quelques jours des élections. Pourquoi pas il y a un an ou dans trois mois ? Ce n’est pas une coïncidence mais une volonté de nuire. En 52 ans de mandat jamais aucune plainte d’un tel chef n’a été déposée à mon encontre. À suivre cette campagne de dénigrement, je serais réduit à être un vieux fauve aux dérapages aussi fréquents qu’inappropriés. Est-ce vraiment là mon bilan ? Tout cela est orchestré par une main invisible qui se sert de la haine de certains élus à mon égard pour tenter de s’emparer de la ville et la gérer aux profits d’intérêts particuliers. Je condamne la méthode, que je trouve insidieuse, et je condamne son calendrier qui ne sert que des ambitions électorales. (…) Sans autre considération sur le contenu de ces écrits qui ne méritent qu’une action judiciaire en diffamation et calomnie, j’espère que nos citoyens sauront faire la différence le 13 octobre prochain. »
Nous ne pouvons laisser passer de tels propos.
Mettons de côté sur l’allusion grotesque et complotiste à une supposée « main invisible ». Par contre, nous nous devons de répondre sur le calendrier de la publication. Levons donc un coin du voile sur le making-of de cet article.
C’est à la fin de l’année 2021 que nous avons pour la première fois envisagé, avec Mélanie De Groote, de faire « quelque chose » sur Claude Eerdekens, en tant que personnalité emblématique de la politique wallonne, et à l’occasion de ses cinquante ans de mayorat. Mélanie imaginait dans un premier temps une grande interview au format questions-réponses. Après discussion, nous avons plutôt retenu l’idée d’un portrait en texte suivi, ce qui permettait d’enrichir le texte avec les points de vue d’autres interlocuteurs. Nous avons convenu que ce portrait s’insérerait dans notre série « la tournée des bourgmestres » : chaque numéro de Wilfried, jusqu’aux élections communales, présenterait un article sur un bourgmestre atypique ou méconnu, ou bien exceptionnel par sa longévité, son parcours ou sa vision… bref, intéressant. Nous avons ainsi publié les portraits de Claire Vandevivere (Jette), Frans de Bont (Baerle-Duc), Nicolas Stilmant (Fauvillers), Jacqueline Galant (Jurbise), André Bouchat (Marche)…
Mélanie nous a remis une première version de son portrait en février 2023. En vertu d’un processus habituel dans une rédaction, nous lui avons suggéré d’éclaircir certains passages, d’en élaguer d’autres. Dans cette première version, déjà, Mélanie mentionnait les fréquents refus de ses interlocuteurs quand elle les sollicitait pour mieux connaître Claude Eerdekens : « Vous ne savez pas comment il est ! » ; « Il va encore se mettre dans tous ses états » ; « Je ne veux pas d’ennuis, il est déjà insupportable en ce moment »…
Une deuxième, puis une troisième version du texte nous est parvenue à l’automne 2023. Celle-ci comprenait trois paragraphes, assez ramassés, qui faisaient état de témoignages accusant le bourgmestre d’Andenne de harcèlement moral et de comportements sexistes. Ce que nous avons alors dit à Mélanie, c’est qu’on ne pouvait relayer de telles informations de façon aussi concise. Il fallait développer, étayer, recouper ces témoignages. C’est le travail auquel Mélanie s’est attelée, pour aboutir à la version finale, dûment discutée, relue et re-relue par trois membres de la rédaction et deux juristes externes, et publiée dans notre dernier numéro.
Claude Eerdekens a aussitôt réagi par le biais de l’intimidation, en menaçant Wilfried d’une action judiciaire. Nous trouvons cette attitude éminemment curieuse de la part d’un homme qui s’est fait une spécialité de multiplier les discours virulents, les attaques personnelles et les insultes tout au long de sa vie politique… au point qu’Elio Di Rupo, quand il présidait le Parti socialiste, a régulièrement dû le recadrer. Mais voilà : Eerdekens affirmait que la vie politique avait besoin d’une parole libérée, hors des clous, d’une expression franche et non standardisée. Pourquoi n’admet-il pas chez les autres les préceptes qu’il s’est auto-appliqués ?
Si Claude Eerdekens est aussi voltairien qu’il le prétend, qu’il laisse alors à la presse sa totale liberté de ton, sans chercher à la museler.
Une dernière précision, nécessaire. Mélanie De Groote a évidemment proposé à Claude Eerdekens de réagir aux accusations qui le concernaient. Le bourgmestre d’Andenne a alors eu cette phrase, retranscrite dans l’article : « Tout cela est faux, c’est lamentable. C’est comme si on attaquait dans le chef de M. Doumont, conseiller communal Ecolo, son homosexualité. Je ne le ferais jamais, ça me paraît impensable. Chacun a son orientation sexuelle. »
Oui, bien sûr, chacun a droit à sa vie privée. C’est la raison pour laquelle, avant l’envoi de notre numéro 28 à l’imprimerie, nous avons téléphoné à Hugues Doumont, leader de l’opposition Ecolo à Andenne, pour lui demander s’il s’opposait à ce que cette phrase figure dans le magazine. Il était hors de question pour Wilfried de participer à l’« outing » d’un homme politique ne souhaitant pas que son orientation sexuelle soit rendue publique. Hugues Doumont nous a cependant rassuré sur ce point, en nous autorisant à reproduire la réponse de Claude Eerdekens telle quelle.
Et pourquoi l’avoir laissée dans le magazine, cette réponse, et cette phrase en particulier ? Parce qu’elle illustre selon nous la personnalité de Claude Eerdekens. Son penchant colérique. Ses emportements. Mais aussi la manière inacceptable avec laquelle le bourgmestre établit un parallèle douteux entre, d’une part, l’homosexualité d’un adversaire politique, et d’autre part, des accusations de harcèlement moral et de comportements sexistes.
Faut-il, enfin, regretter que la parution de l’article interfère avec le calendrier électoral ? Bad timing, en somme ? Nous concédons que la question est légitime, mais nous pensons sincèrement que la réponse est non. Le moment du suffrage universel est celui où la démocratie est appelée à s’exercer de façon plus vivante et plus exigeante qu’à l’accoutumée. Il n’est quand même pas anormal, ni illégitime, que de nouveaux questionnements s’imposent dans le débat public à cette période-là.
Pour conclure, voici le conseil que nous donnerions à chacun, chacune : lisez l’article de Mélanie De Groote. Vous trouverez dix pages d’enquête documentée, nuancée. Un texte qui a été réfléchi, discuté, confronté.
Bonne lecture à vous !
La rédaction de Wilfried