« En Belgique, on nourrit un rapport maladif à l’institutionnel »

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Au 16 rue de la Loi, la météo n’a jamais été scrutée avec autant d’anxiété. D’abord parce que cet été, canicule et sécheresse ont cramé la flore comme au Sahara. « Dans mon village, la nature n’était pas verte mais jaune », se souvient avec une précision colorimétrique Alexander De Croo. Ensuite parce que le Premier ministre est censé résoudre, avant les premières grosses fraîcheurs de l’automne, un problème de taille : l’envolée des prix de l’énergie, et par-là le désarroi de tout un peuple.

Une petite voix lui demande-t-elle constam­ment ce qu’il est allé ficher en poli­tique ? Alexander De Croo aurait pu pour­suivre sa car­rière dans le pri­vé, faire pros­pé­rer la start-up qu’il avait fon­dée en 2006, alors jeune tren­te­naire. Il l’aurait sans doute reven­due et, fort d’un petit pac­tole, il se serait lan­cé dans une autre aven­ture entre­pre­neu­riale, disons une énième appli pour smart­phone, puisqu’il a tou­jours été aiman­té par les nou­velles tech­no­lo­gies. Il aurait bien gagné sa vie, peut-être autant qu’un ministre, et il aurait réno­vé — comme il le fera plus tard — la mai­son de son arrière-grand-mère, à deux cents mètres de celle de ses parents, dans le vil­lage de Michelbeke, la sei­gneu­rie pas­to­rale des De Croo depuis quatre siècles. Il aurait mené la vie d’un digi­tal nomad, bos­sé en remote face au pay­sage pico­ré de vaches et tache­té de toi­tures rouges, glis­sé jusqu’à la bou­lan­ge­rie en ska­te­board élec­trique pour s’acheter une rijst­taartje entre deux calls — car l’aîné d’Herman, par­mi ses nom­breux modes de dépla­ce­ment, choi­sit sou­vent le ska­te­board élec­trique pour cou­vrir de petites dis­tances. « C’est encore un truc amé­ri­cain, un gad­get qui m’amuse… Ça roule vite et c’est dan­ge­reux, j’ai d’ailleurs vio­lem­ment chu­té », confie-t-il. On le voit, star­tup­per pépère était une exis­tence pos­sible pour Alexander De Croo. Au lieu de quoi il est deve­nu Premier ministre. Depuis deux ans, il emmène une coa­li­tion éclec­tique et sous haute ten­sion, gou­verne un pays endet­té jusqu’à l’os et subit sans répit les affres d’une époque contra­riée. Dérèglements cli­ma­tiques, envo­lée des prix de l’énergie, infla­tion véloce, guerre en Ukraine, pan­dé­mie qui se traîne : la charge semble trop lourde pour un seul homme, et même pour un gou­ver­ne­ment, et même pour la poli­tique dans son essence. « Se dégage des pou­voirs publics le sen­ti­ment d’une impuis­sance géné­ra­li­sée », écri­vait en sep­tembre le jour­nal fran­çais Le Monde à pro­pos de la crise éner­gé­tique en Belgique. La colère citoyenne ne fait qu’enfler plus l’hiver approche et moins la coa­li­tion Vivaldi agit.

 

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