Vainqueur du « Prix Eddy mag » du Vrai Foot Day (la journée européenne du foot amateur), le FC Apicoles Tilffois organisait une rencontre un peu spéciale face à son vieux rival, l’AS Hony. Le concept : à chaque fût de bière sifflé par ses supporters, le club marque un but. De quoi potentiellement renverser le score sur le terrain… « Eddy » y était, en toute sobriété.
Une partie des bénéfices de l’événement permettront de financer l’installation de ruches et de panneaux photovoltaïques aux alentours du terrain, l’autre à venir en aide aux sinistrés des inondations de juillet, qui ont violemment frappé la région liégeoise – dont le club du FC Apicoles lui-même.
« Ça, c’est le vrai football ». Combien de fois n’entend-on pas cette phrase au bord d’un terrain boueux et pelé le dimanche après-midi, au détour d’un tacle viril ? Le « vrai football » qui sent bon le vestiaire en sueur, la troisième mi-temps interminable et, malgré tout, l’esprit de compétition farouche : c’est celui auquel le magazine So Foot rend hommage via le Vrai Foot Day, journée d’hommage au football amateur, à travers toute la France – et depuis 2020 en Belgique, en partenariat avec Eddy.
Le concept est simple : les clubs participants au « Prix Eddy Mag du meilleur club belge » devaient présenter un projet sur le thème de l’écologie et du développement durable – et arroser le tout d’une bonne dose d’humour et de décalé, voire de surréalisme à la belge. Autant vous dire que la concurrence a été rude pour finalement couronner le FC Apicoles Tilffois, dont le nom trahit la forme qu’a pris leur projet : mêler foot et guindaille. Leur idée : permettre aux supporters « d’inscrire » des buts à la force de leur coude – pas celui de Marcin Wasilewski mais plutôt celui de Ronaldinho. Les bénéfices ainsi réunis dans le cadre du Vrai Foot Day permettront au FC Apicoles d’ériger des panneaux photovoltaïques sur le toit du club et des ruches aux alentours du terrain, dans le respect du thème écoresponsable. Des ruches parce que, comme nous l’explique le coprésident Addax, « le nom du club, au-delà du jeu de mots évidemment bibitif, vient aussi du fait que Tilff a une tradition de miel ; un de nos amis avait d’ailleurs créé une bière appelée l’Apicole ».
« La première année, on prend 135 buts »
Addax, c’est évidemment un pseudonyme, plus précisément un totem scout, celui de Patrick Lampertz : si le FC Apicoles évolue aujourd’hui à l’échelon le plus élevé de l’ALFA (Association Liégeoise de Football Amateur), il a débuté comme une blague entre potes réunis par le scoutisme, et une volonté de ne pas se perdre de vue une fois les études terminées. « Personne ne savait jouer au foot à l’époque ! La première année, on prend 135 buts et on termine derniers », se rappelle Addax (une fière antilope musclée, nous précise-t-il). « Pourtant, on est montés administrativement. Il manquait une équipe à l’échelon supérieur, et lors d’une soirée bien arrosée, on a convaincu le président de l’ALFA de nous faire monter. Bon, on a fait l’ascenseur… ». Depuis, le club a grimpé les divisions, à la régulière. « Les troisièmes mi-temps restent solides, mais ce qui a changé, c’est qu’on sait se tenir les veilles de match », nous confie-t-on en bord de Ruche. Les petits yeux de certains arrivants matinaux au Stade Marcel-Mourinho en ce superbe samedi d’automne contredisent un peu les dires du coprési, mais aujourd’hui, pas question de se tenir. Ce sera plutôt droit au fût que droit au but : pour la réception amicale du voisin et rival, l’AS Hony, onze supporters de chaque équipe prendront place dans un « parcage » en bord de terrain et… (a)picoleront. À chaque fût de 20 litres vidé, un but sera ajouté à l’équipe correspondante. Il fallait être Liégeois pour y penser. Sur le terrain (« d’habitude, on les pète », confesse Nicola, milieu relayeur des Abeilles) comme en tribunes, le FC Apicoles est favori, et il faudra faire respecter ce statut.
Pour l’occasion, les conditions sont absolument parfaites, grâce à un grand soleil mais aussi à une pelouse de qualité pour un club de cet échelon. L’explication, au-delà des tondeuses automatiques, investissement estival, trouve sa source dans un événement tragique : les inondations qui ont frappé la région liégeoise en août dernier, sans épargner Esneux. « On avait 50 cm d’eau dans la buvette, qui est déjà surélevée d’un bon mètre », explique Addax. Le terrain, naturellement, est noyé. Mais miracle : depuis, jamais le gazon n’a été aussi beau, nous assure-t-on. Seuls stigmates de cette catastrophe : les cadavres d’une quinzaine de véhicules appartenant à la commune d’Esneux, qui attendent autour du terrain d’être évacués. La ville, elle, pourra compter sur la générosité du FC Apicoles, qui a annoncé qu’une partie des bénéfices soulevés par le Vrai Foot Day irait aux sinistrés de la région.
Esneux c’est la Champions League
Les joueurs étant arrivés au compte-gouttes et pour certains dans un état de fraîcheur douteux, le coup d’envoi est reporté, ce qui laisse le temps à la presse comme aux joueurs de piocher dans les paquets de frites laissés à disposition. Dans les tribunes, on a mis les petits plats dans les grands : les fumis (jaunes pour les locaux, bleus pour les visiteurs) embrasent le ciel dès le coup d’envoi. Pour être honnête, on se demande même si Hony a compris le principe du défi tant le rythme est différent de part et d’autre, les Apicoles se lançant immédiatement dans une série de chants (que nous ne reproduirons pas ici) et, surtout, d’afonds niveau Champions League.
Alors que le FC Apicoles prend son adversaire à (et s’en met ras) la gorge en bord de terrain, Hony surprend tout le monde dans le jeu : un retourné peu académique du bien nommé Duculot finit tranquillement au fond des filets du portier tilffois. Pierre Lenoir est pourtant réputé infranchissable. « Il se fait certes souvent lober parce qu’il est tout petit, mais sur penalty il est très fort », détaille Addax. Piqués au vif, les Apicoles corrigent rapidement leur insolent adversaire : Teddy Braisbois, dit « le roux » (« mais on l’aime bien », comme le chante le kop), puis la « pépite » des Jaune & Noir, Julien Lacroix (dit « 2001 », son année de naissance) remettent leurs couleurs aux commandes. Un penalty généreux, puis un solo de « 2001 » fixeront le score à 4 – 1 à la pause.
Sur le terrain, du moins, parce qu’en dehors, c’est plus équilibré que prévu : alors que Tilff tue son premier fût à la demi-heure, Hony égalise peu avant la mi-temps, portant le score à 5 – 2 (4 – 1 sur le terrain et 1 – 1 au bord, pour ceux et celles qui n’auraient pas suivi). Tout en portant réclamation : le grand n’importe quoi du kop local voit des supporters aller et venir, ce qui est strictement interdit (pas de pause toilette avant la mi-temps), et parfois même dépasser le nombre sacré de onze dans le parcage. L’arbitre (pourtant un dirigeant apicole) prend note et siffle penalty. Il sera tiré par Franky, surnommé Franky La Star, lui aussi dirigeant du FC Apicoles mais envoyé pour aider les supporters honisois, en sous-effectif. Lui qui n’a jamais mis les pieds sur un terrain trompe le légendaire Lenoir d’un contre-pied parfait à la reprise (5 – 3).
Au fût et à l’affût
La fête peut recommencer, et le rythme reste impressionnant. Il faut dire qu’en tribunes, le FC Apicoles possède quelques individualités de premier plan, comme l’inépuisable Paca, co-président et meneur du kop, ou encore un certain Thomas Muller. « Sans les trémas », précise-t-il, au cas où on serait pris d’un doute. Blessé à l’aine, Muller et sa pointe de vitesse (« Le gros le plus rapide du monde », nous assure-t-on) manquent au FC Apicoles : à l’instar de son homonyme en 2014, il avait emmené son équipe jusqu’à la victoire finale en août dernier dans son premier grand tournoi international, le Prague’s Barrel. Au terme d’une compétition qu’ils traversent, de l’aveu général, ronds comme des queues de pelle, les Tilffois ont en effet fini par soulever le trophée, conservé fièrement au club et qui aurait, d’après la rumeur, été endommagé lors de l’afterparty de ce Vrai Foot Day.
Car l’afterparty, comme il se doit, sera à la hauteur de la performance sur la pelouse. La seconde période va voir le FC Apicoles creuser l’écart, emmené par un « 2001 » que ses cul-secs après chaque but (chaque joueur y est tenu !) n’empêchent pas de claquer un quadruplé. « Il est vraiment super fort, il pourrait jouer bien plus haut qu’en ALFA mais il aime trop la bière », concède Addax. Une version locale du fameux « j’aurais pu passer pro, mais les croisés… ». Ajoutons à cette débandade sur le terrain pour Hony une domination jaune & noir à la pompe à bière, où ça picole pour le coup en équipe mixte : les Apicolettes, l’équipe féminine fraîchement fondée, n’ont rien à envier à leurs homologues masculins dans au moins un secteur de jeu – très important au Stade Marcel Mourinho. Marcel, c’était un entraîneur adjoint ayant dirigé l’équipe pour une rencontre seulement, avec une remontada de folie et donc un hommage à la clef. « Ça donne l’impression qu’il est décédé mais il est juste retraité. C’est notre mascotte », nous explique-t-on. Marcel aurait été fier de la prestation du FC Apicoles ce 7 octobre : 6 – 2 sur la pelouse, et un 3 – 2 disputé dans les travées. Mais dès la fin du match, l’entente est cordiale entre les deux rivaux et voisins – cordiale et festive, les deux équipes s’affrontant immédiatement dans un relais d’afonds remporté par les invincibles abeilles. « Nous sommes le FC Apicole, rien ne pourra nous arrêter », chantent-ils alors en chœur. Le lendemain, la rencontre de championnat ALFA sera reportée, à leur demande. Une sage décision, car la nuit sera longue… Vive le Vrai Foot. Day and night.
Un reportage de Florent Malice